Du 29 octobre au 29 novembre 2019, l’artiste sénégalais Alioune Diagne présente son exposition monographique « Perceptions » à l’espace We Art Partners à Paris. Une belle occasion pour MarynetJ de rencontrer Alioune Diagne et Gary Grauzam, fondateur de We Art Partners, pour préciser les contours de ce style bien particulier qu’est le « Figuro-abstro ».
M. J. : Bonjour Alioune, Bonjour Gary. Alioune, est-ce que tu pourrais me parler de ce mouvement pictural du « Figuro-abstro » que tu définis comme le tien ? Comment t’est venue cette façon de définir ton travail ?
A. D. : Beaucoup de personnes ont du mal à comprendre ce que j’entends par « Figuro-abstro », car lorsqu’elles découvrent mes tableaux de loin ou en photo elles n’y perçoivent que du figuratif, parce qu’il s’agit souvent de portraits. Mais si on voit mes tableaux en vrai, on peut s’approcher et comprendre que les signes qui composent l’image ont une importance, et ceux-ci doivent être intégrés dans la perception qu’on a de mes tableaux. Moi ce qui m’intéresse ce sont ces deux côtés ; abstrait et figuratif. En effet, le fait de dire que mon travail est seulement figuratif ce serait totalement ignorer les signes qui ont une vie à part entière. Ces signes sont abstraits car je n’arrive pas et je ne veux pas leur donner un seul sens, une définition simple. Pour moi, c’était essentiel que je trouve une définition de mon style, avoir le droit de pouvoir affirmer ce que je fais. J’ai donc décidé de mettre en avant cette double dimension de mes tableaux dans le nom Figuro-abstro.
M. J. : Les signes viennent donc donner la profondeur à l’ensemble dit « figuratif », c’est pour cela que l’abstraction a son importance ?
A. D. : En effet, on ne peut pas réduire ces signes à du simple graphisme car je ne les utilise pas pour décorer les œuvres. Ces signes construisent mon univers, et je dois être fidèle à cette abstraction. Ce style me permet d’être libre, de poser les choses comme je les ressens. Je dépose les couleurs, les ombres, je fais mes propres liens, mes propres paysages. Pour certains tableaux les signes sont très présents, très chargés, pour d’autres l’espace est plus libéré.
G. G. : En le côtoyant, je me suis rendu compte que l’univers d’Alioune est rempli de signes, c’est comme un langage. Chaque signe a un réel bagage émotionnel ; c’est-à-dire que, dans son imagination il y a des milliards de signes, et chaque signe vient nourrir une émotion qui va apporter un message ; les messages sur la mémoire sénégalaise, les messages sur les femmes, etc.
M. J. : On pourrait croire que ce sont les couleurs qui viennent s’appliquer par couches par-dessus des signes, mais en fait, c’est le signe qui compose les couleurs.
G. G. : Pour parler de l’aspect technique du travail d’ Alioune, ce que je trouve intéressant c’est que, sans les signes, l’image n’existe pas. À de nombreuses reprises je me suis demandé ce qui crée le contour de l’image ; est-ce la couleur ou est-ce le signe ? Ce sont les signes qui sont colorés, ce n’est pas de la couleur qui y est ajoutée par-dessus. Si tu enlèves le signe il n’y a plus d’image.
A. D. : Exactement, c’est pour ça que le figuratif et l’abstrait sont liés. Si le signe disparaît il n’y a plus d’image, ni figurative ni abstraite. Ils sont liés l’un à l’autre. C’est pour ça que je me suis dit que ce serait dommage de définir mon style de peinture comme simplement figuratif ou abstrait. Ce sont toujours ces signes-là qui sont là, et ce sont des carreaux qui les séparent. Si j’enlève les carreaux ça ne sera plus comme avant.
M. J. : Je trouve ça intéressant de parler de signes et non pas de symboles, car la valeur d’un symbole se trouve dans une idée fixe et s’inscrit dans un contexte, là où le signe peut avoir plusieurs sens. Ton exposition actuelle s’appelle « Perceptions », est-ce parce que tu te détaches de l’interprétation que les spectateurs peuvent avoir de tes œuvres ? Et, pourquoi ce titre mis au pluriel ?
A. D. : En effet, chaque personne qui observe mes toiles y retrouve quelque chose qu’il connaît. Par exemple les éthiopien y voient de l’amharique, d’autres y voient de l’arabe, ou des lettres hébraïques, et je les laisse interpréter. Ce n’est pas dans ma volonté de produire des signes qui ressemblent à des écritures préexistantes, je veux créer quelque chose qui est un langage universel. Il faut que ça parle, que ça donne envie de passer du temps dans les tableaux et qu’on puisse voyager dans mon univers en se l’appropriant de plusieurs façons. Je laisse les gens s’imprégner de ces signes, qui sont eux, à chaque fois singuliers.
M. J. : Ces signes ne viennent pas de nulle part, ils sont issus d’une histoire dans laquelle ton grand-père a joué un rôle primordial, peux-tu nous la raconter ?
A. D. : Mon grand-père était toujours à mes côtés, et c’est mon homonyme, on était très proche. Il était maître coranique, je l’ai toujours vu beaucoup dessiner et écrire avec une plume et de l’encre. C’est quelqu’un qui m’a donné énormément de choses dans ma vie. Je n’ai pas appris l’arabe ni le coran, mais il m’a appris les versets. Il est décédé en 2013, et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à produire des tableaux avec de l’écriture. Comme je pensais automatiquement à mon grand-père quand je peignais, j’ai donc compris que je devais m’en inspirer. Je me suis donc mis à simuler la gestuelle de mon grand-père, j’y ai pris goût et j’ai continué. C’est comme si je l’imitais mais que c’était complètement différent et assez personnel. Ça m’a motivé, et j’ai continué à écrire, écrire.
M. J. : Comme si tu inventais ta propre écriture ?
A. D. : Le Figuro-abstro renvoie à ce codex inconscient que j’ai hérité de ma relation avec mon grand-père. Je savais qu’il écrivait de l’arabe, cependant moi, je ne sais pas ce que j’écris. C’est comme lorsqu’un peintre fait un tableau abstrait, il le signe et lui projette une émotion, tandis que les spectateurs y voient complètement autre chose. Même moi il m’arrive d’interpréter, car je ne sais pas ce qui est dit à travers ces signes-là. Car lorsque je fais les carreaux aussi, ce sont mes émotions qui sortent, leur forme est produite en fonction de mes humeurs.
G. G. : Finalement l’image c’est le message, et le signe c’est tout un langage de l’émotion ; ces émotions qui ressortent quand il travaille.
M. J. : Comment est-ce que tu procèdes ?
A. D. : Je démarre par le fond. J’ai longtemps fait les fonds avec mes mains, car la peinture c’est quelque chose de très tactile, c’est une matière qui demande à être touchée, avec laquelle on peut être en contact, et jouer avec. Je joue vraiment avec les couleurs. À partir du fond sortent la plupart des couleurs. Parfois les signes ne sont pas présents sur toute la toile, j’utilise des aplats pour donner de la profondeur. Je fais beaucoup de superpositions. Parfois il m’arrive aussi de revenir sur certains endroits en posant du blanc, pour faire ressortir certains éléments, certains signes. Quand je termine ma soirée je prends une photo de mon tableau et je la regarde avant de dormir, pour voir ce qu’il faut modifier, s’il faut ajouter une petite touche de couleur pour relever l’équilibre coloré du tableau. Quand je suis satisfait, je signe et je n’y touche plus ; je peux me concentrer sur un autre tableau.
M. J. : C’est une façon de travailler qui demande énormément d’introspection et de concentration. Gary, Quel était ton ressenti lors de ta rencontre avec les œuvres de Alioune ?
G. G. : Quand j’ai découvert ses œuvres la première fois j’ai ressenti quelque chose de fort, Je ne connaissais pas l’histoire de son grand-père, ni ce que pouvait être le Figuro-abstro, je me suis retrouvé nez-à-nez avec une œuvre, j’y ai vu quelque chose de beau, j’y ai vu quelque chose qui me parlait et puis, j’ai ressenti quelque chose de plus fort, qui donne envie d’aller voir plus loin. Pour connaître Alioune aujourd’hui, je peux dire qu’il est presque drogué du signe, ça devient une obsession ce remplissage, mais une obsession positive. C’est une bonne chose car ça lui permet de retranscrire toutes ses émotions sur une œuvre et de nous les faire ressentir.
A. D. : Quand je dors, les signes sont toujours là. Ils apparaissent en cascade, comme une machine. C’est obsessionnel.
Mes tableaux qui m’apparaissent comme des écritures
M. J. : Tu composes tes tableaux dans ton sommeil ?
A. D. : Oui, je me réveille beaucoup la nuit, j’ai des troubles du sommeil à cause de mes tableaux qui m’apparaissent comme des écritures. La nuit, je vois des scènes. Mon inspiration souvent, c’est le matin vers 5h/6h, au moment où je suis dans un demi-sommeil, c’est à ce moment-là que des images m’apparaissent. Je peux voir une image pendant deux ans ou trois ans, et après ça revient, comme s’il était temps que je la réalise. C’est pour cela que les couleurs et les images me viennent très naturellement. Je vis avec mes tableaux, je suis à 100% avec eux. Dans les collections il y a beaucoup de tableaux différents. Je reviens toujours sur mes collections, plusieurs jours ou plusieurs mois plus tard. Quand ça revient, je suis obligé de l’exécuter, et après je passe à autre chose.
M. J. : Gary, en tant que galeriste, quel regard poses-tu sur le fait que Alioune parle de « collections », et non pas de « séries » ? C’est inhabituel.
G. G. : Lorsque j’ai commencé à travailler avec Alioune et ses œuvres, je voyais écrit « collection » au dos de ses œuvres, et ça m’a paru étrange. Je lui ai demandé pourquoi, car pour moi il s’agissait de séries ! Et il m’a répondu quelque chose qui m’a marqué, il m’a dit : « Non, les séries c’est mécanique et il y a une fin. Une collection continue à s’enrichir avec le temps. Ce que je vais faire, c’est commencer plusieurs collections, ainsi je pourrai revenir dessus plus tard, les enrichir. Elles ont toutes un lien entre elles et ça fait mon univers ». J’ai tout de suite été ravi de cette réponse. Le but de l’exposition “Perceptions”, c’est de montrer toutes les collections et ainsi de montrer la diversité du Figuro-abstro.
A. D. : En effet, je travaille sur plusieurs collections : Scènes de marché, L’Enfance, Mémoire, Claire Obscure, Signes en abstraction, Modu Modu et Renaissance. Ce que j’ai voulu faire pour l’exposition « Perceptions », c’est de présenter les thèmes qui sont abordés dans chacune des collections et les liens qui s’y font.
M. J. : Alioune, tu me disais que tu vois des scènes. Dans tes tableaux je vois une grande composition, presque photographique. Comment composes-tu tes images ?
A. D. : Je travaille très peu à partir de photos. Dans mes collections cela doit correspondre à 3 ou 5 tableaux. La plupart du temps ce sont des scènes que je dessine quand je suis au Sénégal et aussi de nombreux croquis qui datent de l’époque où j’étais aux Beaux-Arts. Aux Beaux-Arts, nos professeurs nous demandaient de préparer des centaines d’esquisses, donc je passais la plupart de mon temps dans les rues de Dakar à dessiner. La plupart des tableaux de ma collection « Enfance » ce sont des esquisses que j’ai fait à cette époque, car les enfants adorent prendre des poses pour être dessinés. Les esquisses de rues c’est la même chose, à chaque fois que je rentre au Sénégal je passe beaucoup de temps à dessiner dans les rues. Quand je travaille à partir de photos – ce qui est assez rare – c’est des zooms que j’ai fait sur mon téléphone, pour isoler quelques détails intéressants, notamment pour des scènes de marché. Je recadre, et quand je reviens à mon atelier je regarde ce qui est exploitable. Je dessine à partir de cette image, à laquelle j’applique mon style.
M. J. : L’iconographie sur laquelle se construit la collection « Mémoires » est ancienne, et ne semble pas provenir de tes propres croquis. Quelle est son histoire ?
A. D. : Un jour, quelqu’un m’a donné un ouvrage de photos anthropologiques qui datent de 1800, montrant des peuls en tenues traditionnelles. Quand j’ai reproduit ces tenues sur mes tableaux il y a eu beaucoup de réaction au Sénégal, à cause du fait que les femmes y sont représentées les seins nus ; on m‘a dit qu’elles n’étaient pas valorisées, que personne ne s’habillait comme ça à cette époque, que c’est un mythe. Ça m’a frappé car je considère qu’il est important de prendre conscience de ces mémoires. Il faut connaître d’où l’on vient pour aller où on veut, il faut connaître notre histoire. Ces images-là, je ne les ai malheureusement jamais vues à l’école au Sénégal. Et pourtant, depuis l’âge de 13 ans j’accompagnais le maître d’enseignement en illustrant sur le tableau les cours de sciences humaines, d’anatomie, d’histoire et géographie ! Ces images n’ont presque jamais été montrées. Les archives du Sénégal doivent reprendre possession de ces images du passé. C’est important de les montrer aux enfants, car un enfant c’est comme une plante à laquelle on pose un tuteur ; c’est au fur et à mesure qu’il grandit qu’on peut l’orienter et le guider. Ces tuteurs, ce sont l’éducation et la mémoire. L’idée pour moi c’est d’inclure ces images dans le présent avec mes propres couleurs.
G. G. : Les photos de cet ouvrage sont issues de timbres postes, elles sont tellement petites et anciennes qu’on n’y distingue plus les couleurs et les détails. Alioune leur a donné des couleurs contemporaines, il les a fait revivre.
M. J. : Les femmes sénégalaises sont très présentes dans ton travail, notamment dans tes collections « Scènes de marchés » et « Mémoires ». Pourquoi cela ?
A. D. : J’ai remarqué que la plupart des femmes, que ce soit au Sénégal ou en Afrique en général, ce sont elles qui travaillent et s’occupent des enfants en même temps. Et la plupart du temps, les maris restent à la maison, jouent aux cartes ou passent du bon temps. Les femmes se lèvent à 5 heure du matin, elles parcourent les rues de Dakar de marchés en marchés pour y vendre leurs produits comme du poisson, ou des légumes. Je me suis dit qu’il était temps de parler de ça, pour que la nouvelle génération puisse aussi le voir vraiment. Je vois souvent des enfants, des adolescents et des adultes qui se lèvent à midi pour prendre leur petit déjeuner tranquillement alors que les femmes sont déjà parties travailler à l’aube. En tant qu’artiste engagé je veux dénoncer cette habitude. Je parle de faits sociaux à travers mes œuvres. Ici c’est un tableau que j’ai appelé « Labyrinthe », ce sont des chemins qu’on voit. Le visage de cette dame est arpenté de chemins. Cela montre le parcours de cette dame, de 5h du matin jusqu’au soir. Il y a également le fond très animé de la nuit et des voitures.
G. G. : Alioune m’a souvent parlé des différences qu’il observe entre les pays occidentaux et les pays africains. Il me disait que lorsqu’il vivait au Sénégal, ça lui paraissait normal que les femmes s’occupent de tout. C’est quand il est arrivé en France qu’il s’est rendu compte de la très grande importance des femmes dans la société sénégalaise et c’est pour ça qu’il s’est mis à peindre énormément de femmes. Pour dénoncer ce système là, mais aussi pour rendre hommage à ces femmes fortes.
A. D. : En effet, cette double nationalité, cette double culture m’a fait observer différemment les sociétés qui m’entourent.
M. J. : Gary, quelle est la collection qui te touche le plus ?
G. G. : La collection Modou-modou me touche énormément. C’est une collection qui parle des expatriés sénégalais dans tous les pays du monde. Celle que je trouve magnifique c’est « Les modou-modou parisiens ». Les Modou-modou sont devant la tour Eiffel et ils vendent des petites tours Eiffel. J’avais fait un jour la remarque à Alioune que le sol était d’une couleur particulière, qui ne ressemblait pas au béton gris et à la pierre que l’on trouve au pied de la tour Eiffel, et il m’a répondu « mais, c’est le sable du Sénégal ! » En fait, il a amené le Sénégal à Paris, comme le font les Modou-modou ! Et puis, ce qui me plait, c’est le fait que cette collection va grandir avec le temps, car il y a des Modou-modou du monde entier.
A. D. : Oui, pourquoi ne pas ramener la tour Eiffel sur le sol sénégalais ? C’est là l’importance de créer ce tableau. Pour ce tableau je n’ai pas utilité à montrer les visages, les yeux et les corps, c’est seulement la présence des Modou-modou qui compte. Moi-même je me considère un peu comme un Modou-modou, car déjà quand j’étais au Sénégal je considérais toutes les personnes qui allaient en France comme des Modou-modou. Un Modou-modou c’est souvent l’homme de la maison qui part en Europe et qui a la charge de gagner de l’argent pour la famille. Les femmes vendent leurs bijoux pour lui donner le moyen d’acheter le visa et le billet d’avion. Ce terme vient de là. Quand on est ici en France, nous nommons surtout ainsi les vendeurs ambulants qui habitent tous ensemble.
M. J. : La collection « Signes en abstraction », est une collection qui comprend des peintures, mais également des sculptures et une vidéo, peux-tu nous en parler ?
A. D. : « Signes en abstraction », c’est une collection qui ne parle que des signes, qui les explore. Je me suis dit qu’il était temps de réellement les montrer, de les extraire de mes tableaux et de les agrandir, comme si on plongeait pour voir ce qu’il y a dedans. Dans le tableau « Signe d’abstraction 1 », on voit les couleurs primaires magenta, cyan et jaune, comme si on avait zoomé sur la couleur qui entoure le signe et qu’on y voyait le spectre coloré. C’est le même principe avec les sculptures, ce sont des signes aussi qui ont été agrandis. Quand ils apparaissent en trois dimensions on peut s’imaginer encore plus de formes, des formes animales, des personnages, des caractères d’écriture. Ces sculptures sont en plaques de métal, que j’ai pliées, froissées, et soudées. Des signes sont aussi découpés dans ce métal, c’est le fond qui fait apparaître les signes. J’ai laissé visibles les soudures pour être fidèle à l’esprit de construction. Le Figuro-abstro c’est une construction de signes, alors je veux montrer cette construction, la même que dans mes tableaux.
G. G. : Dans les sculptures de cette collection, sont représentés des signes extraits de ses tableaux, pour les voir d’une autre manière, plus physique. Au fond, on y trouve un signe dans le signe, des émotions dans les émotions. On plonge dans l’essence même du Figuro-abstro.
M. J. : De la même manière qu’avec les synthèses additives et soustractives des couleurs, ton travail joue beaucoup sur cette idée du « positif/négatif ». Tes signes ont un tout autre aspect quand on les voit en positif. Dans tes tableaux ils sont produits en négatif, c’est pour cela qu’on a tendance à y voir seulement les carrés de peinture ; l’œil prend en compte la peinture et pas forcément ce qui est laissé en réserve. Avec la vidéo et les sculptures « Signe en abstraction », les faire apparaître en positif nous fait beaucoup mieux comprendre la manière dont tu construis tes images.
A. D. : Dans cette installation vidéo je voulais vraiment trouver l’essence de mon travail avec les signes. J’ai extrait un par un les signes dont j’avais besoin, à l’intérieur de chaque carré de mes tableaux. C’était très laborieux, mais pour moi c’est important de les extraire directement de mes tableaux car cela conserve le bagage émotionnel et l’instantanéité avec lesquels je les ai produits sur la toile. Il fallait que je sois fidèle à ça. Alors j’ai pris ces images-là et je les ai animées sur une musique de percussion. Cette animation exprime assez bien la façon dont mes tableaux se construisent dans ma tête. Ce que j’ai aimé avec cette vidéo, c’est que les appareils photos ont un souci pour les identifier, ils sont toujours flous. L’appareil recherche les signes pour pouvoir faire le point et c’est à ce moment-là que les couleurs ressortent.
G. G. : Dans l’exposition, la vidéo « Signes en abstraction » est exposée par un vidéo projecteur. C’est un rendu assez particulier parce que les signes deviennent presque des hologrammes. Lorsqu’ils apparaissent c’est presque magique car la vidéo est en fond noir et les faisceaux lumineux blancs, composés de rouge, bleu et vert projetés sur un mur blanc, ce qui offre un rendu coloré très délicat.
M. J. : Alioune, sur quel sujet portera ta prochaine collection ?
A. D. : Ma prochaine collection portera sur l’exode rural et la pollution. Contrairement à mes collections actuelles où les fonds sont laissés libres et respirent, ici il y aura énormément de signes comme si l’écriture était une machine qui viendrait saturer l’atmosphère. J’ai eu cette inspiration car je regardais un site internet avec le nombre de gens qui meurent à chaque instant, le nombre de voitures produites, la quantité de tonnes de nourritures gaspillées, etc. Les chiffres étaient effrénés. Je me voyais déjà créer mes signes de la même façon ; étouffer le tableau comme de la pollution. L’enjeu du 21e siècle c’est de combattre le réchauffement climatique, je pense que c’est aussi aux artistes d’en parler.
Une interview par Marynet J
Featured image : Portrait (détails) ©Alioune Diagne
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