La nouvelle fait parler d’elle auprès des amateurs de sculpture africaine contemporaine ; BISO, la première Biennale Internationale de Sculpture de Ouagadougou se tiendra du 8 octobre au 15 novembre 2019. Pour en savoir plus sur cet événement, Estelle Onema, coordinatrice de BISO et Nyaba Léon Ouedraogo, co-fondateur de la Biennale, répondent aux questions de The Art Momentum.
Comme le rappelait une mémorable exposition au Musée du quai Branly-Jacques-Chirac en 2015 (1), l’Afrique a toujours eu ses « grands maîtres » en matière de sculpture traditionnelle. Aujourd’hui, ce sont les artistes contemporains qui, au travers de nouveaux imaginaires, se saisissent d’un savoir-faire artistique et technique ancestral, revisitant ainsi des esthétiques parfois un peu figées dans le temps. BISO, 1ère Biennale internationale dédiée à la Sculpture contemporaine en Afrique, a pour ambition de témoigner de la vitalité et de la créativité de cette scène forte d’un héritage culturel et spirituel aux multiples facettes. Considérer le monde d’un point de vue esthétique et politique par le biais de la sculpture, telle est l’ambition de cette nouvelle manifestation basée sur le Continent.
The Art Momentum : Le thème de cette première édition de BISO emprunte les mots du grand héros burkinabè Thomas Sankara : « Oser inventer l’avenir ». Pourriez-vous nous présenter BISO ? Comment avez-vous conçu cette Biennale, et quels sont les artistes qui y seront exposés ?
Nyaba Léon Ouedraogo : L’idée d’une Biennale est née de la rencontre entre Christophe Person et moi-même. L’idée est venue tout naturellement dans une discussion, alors que nous faisions le constat du peu d’espaces de visibilité pour la sculpture africaine. Nous avons donc décidé de créer une Biennale qui répondrait à ce besoin. BISO est ainsi née et s’est concrétisée il y a un an, lorsque nous avons lancé l’appel à candidature en ligne. Florence Conan et Estelle Onema nous avaient rejoints. Pour nous, le thème « Oser inventer l’avenir » permet d’inviter les artistes africains à répondre à un besoin crucial, à savoir, comment les artistes contemporains – souvent très jeunes – souhaitent représenter l’Afrique à travers la sculpture ?
Estelle Onema : En empruntant les mots de Sankara, BISO entend donner à chaque artiste une place d’observateur de sa propre réalité et celle de visionnaire. BISO est un lieu d’exploration de la sculpture contemporaine et de son champ des possibles. Nous exposerons quinze artistes, cinq femmes et dix hommes, qui vivent sur le continent, du Maghreb à l’Afrique australe, ou qui portent un discours fort sur le continent. Nous donnons à voir également deux performances par des artistes congolais dont une créée spécialement avec un danseur burkinabè.

TAM : Pourquoi avoir voulu consacrer cette Biennale au domaine de la sculpture ? Qu’est-ce que cela soulève comme enjeux ?
N.L.O. : Premièrement, parce que mon pays est réputé pour ses sculpteurs de talent, tels que Siriki Ky, Abou Traore, et bien d’autres encore ! Ensuite, car la sculpture contemporaine africaine, contrairement à d’autres domaines, est assez peu visible dans l’espace médiatique international. Les artistes qui ont répondu à notre appel vont la faire voyager. Depuis la nuit des temps les africains connaissent la sculpture en Afrique, nos ancêtres ont toujours intégré la sculpture dans leur quotidien et dans leurs intérieurs. L’art africain commence par la sculpture, c’est pour cela qu’on a initié BISO dans ce sens, pour dire aux africains “revenons aux sources, voilà ce que nous sommes, et voilà ce que nous proposons au monde à l’heure actuelle”. Nous aimerions montrer au monde le nouveau visage de l’Afrique.
Les formes contemporaines n’arrivent pas totalement par le fruit du hasard ; un terreau fertile est déjà là pour engendrer de nouveaux mécanismes.
E.O. : Il a fallu attendre que Picasso et Matisse puis les surréalistes s’y intéressent pour que la statuaire africaine gagne ses lettres de noblesse auprès des amateurs, esthètes et des collectionneurs, mais depuis toujours la sculpture africaine est une forme d’expression en réinvention permanente. Le plus gros défi est d’ouvrir la vision qu’on a tendance à avoir de la sculpture. Lorsqu’on observe un bronzier, on voit qu’il est capable de maîtriser plusieurs matériaux : il élabore d’abord sa forme avec de la cire d’abeille avant de manipuler la terre glaise pour faire son moule, il opère enfin avec le métal en fusion. Aujourd’hui ce même bronzier innove dans son processus créatif. Les formes contemporaines n’arrivent pas totalement par le fruit du hasard ; un terreau fertile est déjà là pour engendrer de nouveaux mécanismes.
TAM : Avec BISO le territoire des Biennales et des foires en Afrique s’élargit encore un peu plus, et c’est heureux. En tant que qu’événement non-commercial, quel public attendez-vous pour cette première édition Ouagalaise ?
N.L.O. : En effet, l’offre s’étoffe d’année en année et c’est une bonne chose. Les opportunités pour les artistes de montrer leur travail se multiplient et les occasions pour le public de découvrir des œuvres sont de plus en plus nombreuses. Pour BISO, il n’y a pas un public à proprement parler, on attend tous types de publics, que ceux-ci soient habitués ou non aux expositions d’art. C’est très important pour nous. BISO ne sera pas BISO si le public burkinabé ne s’intéresse pas à BISO.
E.O. : Nous voulons que BISO soit un lieu de promotion des sculpteurs déjà établis autant que des artistes émergents. Il est donc important d’accueillir des professionnels de l’art de la sous-région autant que d’Occident. Sur le plan local, il est fondamental d’associer les enseignants qui assurent la formation initiale, les artistes qui jouent un rôle dans la transmission et les acteurs culturels (institutionnels ou privés) qui aident au lancement de la carrière de l’artiste en lui offrant un accompagnement.
Ouagadougou est une ville de culture qui compte des artistes talentueux dans tous les domaines, du théâtre au cinéma, en passant par la danse et la chorégraphie. Nous avons un public déjà acquis à ces disciplines, pour lequel il sera intéressant de tendre un pont vers les arts plastiques. Par ailleurs, qui mieux que les artistes pour résister dans cette période de crise que traverse le pays ? Nous devons être à leurs côtés, et affirmer plus que jamais notre soutien à l’art.

TAM : Sur un plan international, comment expliquez-vous l’absence d’un grand nombre d’artistes sculpteurs issus du Continent dans les lieux de ventes comme les foires et les galeries ?
E.O. : Je dirais que depuis une décennie, ce sont les musées et les institutions qui ont davantage donné la part belle aux sculpteurs. Un des musées précurseurs fut le musée Dapper avec l’exposition des œuvres d’Ousmane Sow et celles de Ndary Lo au début des années 2000. A compter de 2006, Yinka Shonibare et Romuald Hazoumé furent exposés au musée du quai Branly. Plus récemment en 2017, Rigobert Nimi, Romuald Hazoumé, Calixte Dakpogan, Bodys Isek Kingelez ont fait partie de « Art/Afrique » à la Fondation Louis Vuitton. Ce dernier avait par ailleurs déjà eu une exposition à la Fondation Cartier en 1995, avant sa rétrospective au MOMA à la fin de l’année 2018. L’an dernier fut aussi fortement marqué par l’inauguration de l’œuvre de Freddy Tsimba “Porteuse de vies” au Palais de Chaillot.
Nous voulons accompagner ce mouvement lancé par les institutions, qui est amené à s’accentuer au fur et à mesure dans les foires et les galeries, tout en faisant découvrir d’autres d’artistes peu connus. Notre ambition est aussi d’attirer le public d’amateurs d’arts anciens vers cette forme d’art contemporain.
TAM : En invitant des artistes tels que Tickson Mbuyi, Precy Numbi ou encore Adejoke Tugbiyele, c’est une vision élargie de l’art de la sculpture, aux frontières de l’installation voire de la performance que vous proposez.
N.L.O. : Oui, on a voulu que la sculpture s’exprime sous toutes ses formes, multiples et variées. La plupart des artistes africains aujourd’hui ont une bonne connaissance des pratiques artistiques contemporaines du monde entier car, pour une grande majorité, ils sortent d’écoles d’art et ils ont voyagé. Pour nous, c’était fondamental que les artistes s’expriment avec liberté, c’est à eux de briser les frontières et de ne pas se cantonner à des formes prédéterminées.
E.O. : Il nous faut sortir de l’idée que la sculpture a quelque chose de figé en soi. Si l’on se place du côté des traditions africaines, une fois ébauchée, une sculpture acquiert sa propre existence indépendamment parfois de la paternité du sculpteur. Elle peut être manipulée, fichée dans la terre, portée sur soi, transportée ou encore ointe, baignée, peinte et repeinte, enveloppée… Par le passé on a vu des œuvres extrêmement hybrides combinant toutes sortes de techniques et jouant de la récupération.
De la même façon, nos artistes performeurs passent par une phase de collecte d’objets ; les balais en paille pour Adejoke Tugbiyele, les déchets industriels pour Precy Numbi, des préservatifs pour Tickson Mbuyi Mpoyi, etc. et par leur mise en forme avec des propositions esthétiques très variées. Quels que soient le temps et le lieu de la performance, cette dernière revêt une dimension thérapeutique ou cathartique. Elle est un appel à faire corps avec l’œuvre.

TAM : Au regard de la thématique « Oser inventer l’avenir », quels sont les discours portés par les artistes qui seront exposés à BISO ?
E.O. : La sculpture est support à toutes les formes de questionnements : l’identité, le genre, la place de chacun dans la société et en particulier celle de l’enfant et sa capacité à rêver. Je pense ici à Achille Adonon et à Beya Gille Gacha. En se muant en tissage, en broderie, en assemblage voire en installation, la sculpture nous fait prendre conscience d’un espace, d’un territoire. Les œuvres de Férielle Zouari, Issouf Diero et Ghizlane Sahli opèrent une transmutation des matériaux issus de l’industrie.
N.L.O. : L’artiste Mamadou Ballo travaille avec les bouteilles en plastique et représente les femmes africaines dans toutes leur splendeur. Achille Adonon travaille sur les chaussures usées, c’est une forme d’anti-consumérisme, une réaction à ce que le mode de consommation contemporain est en train de nous imposer. L’artiste Adejoke Tugbiyele utilise les balais en tiges de palmiers, ce qui fait écho au mouvement du “Balai citoyen” du Burkina Faso, ce mouvement qui a décidé de chasser Blaise Compaoré du pouvoir en 2014. Ce qui est intéressant, c’est que Adejoke Tugbiyele ne connaissait pas cet épisode de l’histoire, elle l’a découvert en venant ici en résidence. Ainsi, la jeunesse africaine veut changer de manière de voir les choses, et l’art est là pour répondre à ces espoirs.
E.O. : La sculpture c’est aussi la chose convoitée voire spoliée, comme le montre la face sombre des musées ethnographiques. Alors que s’installe le débat sur la restitution des biens patrimoniaux, l’artiste contemporain s’empare de ces formes pour questionner le choc des cultures et la dépossession de soi, de son identité. C’est le cas des œuvres mutilées et blessées de Thiémoko Diarra qui sont d’une puissance saisissante.
TAM : De quelles manières cet événement artistique compte-t-il s’inscrire dans la vie Ouagalaise ?
E.O. : Dix artistes en résidence séjournent chez des artistes locaux dans différents quartiers et font appel au savoir-faire des artisans autant que des designers locaux, quand ils n’ont pas choisi de travailler dans l’atelier d’un bronzier. Cela permet de soutenir toute une activité locale où l’artisanat est souvent mis au service de l’art, et qui ne demande qu’à être valorisée. Certains artistes jouent le rôle de médiateurs auprès du public ouagalais le plus jeune en animant notamment des activités éducatives.
N.L.O. : En tant que manifestation, BISO se répand au-delà de l’Institut Français grâce aux évènements du Off soigneusement coordonnés par François Deneulin et portés par des collectifs d’artistes (Ateliers Maaneere, Hangar 11, l’Alliance Africaine, Espace Soarba, Villa Yiri Suma). Les tables-rondes organisées par notre partenaire, l’IESA, permettent aux artistes locaux de confronter leurs idées à celles d’artistes extérieurs dont certains jouent ici le rôle de grands témoins, à l’instar de Barthélémy Toguo et Freddy Tsimba. Cela permet de nourrir une réflexion sur les politiques culturelles à mener au Burkina Faso pour mieux intégrer la sculpture contemporaine et atteindre de nouveaux publics. Je considère que c’est une chance pour le peuple burkinabé de pouvoir recevoir des artistes internationaux et de pouvoir apprécier leur travail. C’est pourquoi j’invite le peuple burkinabé à recevoir ces artistes qui viennent célébrer la sculpture en Afrique.
BISO 2019 est en train de créer une vraie dynamique, bien au-delà de ce que nous imaginions.
TAM : Il semble difficile de développer une Biennale ou une foire sur la durée. Sur quels aspects votre événements va-t-il se positionner pour en faire un rendez-vous de référence sur le continent ? Et, dans votre volonté de promouvoir la sculpture contemporaine africaine, comment pensez-vous concilier l’aspect économique inévitable d’une Biennale avec celui de la carrière des artistes, sans desservir ces derniers ?
E.O : Notre spécificité est de nous intéresser à un médium qui a besoin d’être valorisé. Les artistes sont au cœur de nos préoccupations, à commencer par le suivi individualisé de leurs projets de résidence. Ainsi, notre évènement est fortement panafricain car nous pensons que malgré les fortes contraintes, et notamment celle des transports, les échanges entre artistes africains doivent se multiplier. Dans le futur, nous aimerions accueillir encore davantage d’artistes en résidence.
Enfin les transferts de connaissance étant notre préoccupation majeure, nous voulons étoffer le séminaire d’année en année pour être toujours au plus proche des besoins des artistes et de l’ensemble des parties prenantes. Cette année, nous proposons de débattre sur la formation artistique dans ses aspects techniques et esthétiques, et nous invitons plusieurs intervenants sur le thème du numérique. Nous questionnerons également le statut des artistes, les aspects juridiques et les moyens dont ils disposent pour leur propre promotion et leur diffusion.
En plus du catalogue d’exposition prévu pour la fin de l’année, un film documentaire réalisé par une artiste vidéaste invitée pour l’occasion, témoignera du travail des artistes en résidence et fera connaître de l’intérieur cette édition de BISO 2019. Et pour finir, grâce à nos généreux partenaires, nous offrirons trois prix, sous forme de résidences, pouvant déboucher sur des expositions.

TAM : Pourquoi faut-il ajouter BISO à son calendrier 2019 quand on est amateur d’art et de sculpture en particulier ?
N.L.O. : Il faut venir à BISO car c’est une grande fête de l’art contemporain africain. Nous sommes convaincus que cela deviendra un événement incontournable grâce au talent des artistes exposés dans le IN et le OFF.
E.O. : BISO 2019 est en train de créer une vraie dynamique bien au-delà de ce que nous imaginions. Il y a une forte attente venant des artistes internationaux et burkinabés, autant que du public lui-même.
Quelque chose d’inédit se prépare, avec un potentiel créatif énorme. Il faut être à Ouagadougou cette semaine du 8 octobre pour se laisser surprendre par notre sélection et pour avoir cette chance unique de pousser les portes des ateliers ouagalais.
L’exposition est visible du 8 octobre au 15 novembre 2019 à l’Institut Français de Ouagadougou.
Featured Image : Achille Adonon, “Téléviseur”, 2019. Récupération et bois.
→ Site officiel de la Biennale BISO IN
→ Site officiel de la Biennale BISO OFF
Un article The Art Momentum
- « Les maîtres de la sculpture de Côte d’Ivoire », exposition avril/juillet 2015 au musée du quai Branly-Jacques Chirac. Catalogue d’exposition : ‘Les maîtres de la sculpture de Côte-d’Ivoire’, 2015, éditions Skira.