Alex Ungprateeb Flynn, théoricien anthropologue, et Noara Quintana, artiste plasticienne, ont travaillé ensemble pour créer « Concrete Mirror » : un projet qui conjugue l’art contemporain et les sciences sociales pour créer des récits inclusifs. À quelques jours de la présentation de ses résultats à la foire AKAA à Paris, ils évoquent leur collaboration avec Paula de Almeida.
Paula de Almeida : Votre collaboration amène à se poser des questions sur le processus artistique. L‘art contemporain doit-il être confronté à d‘autres sphères de réflexion pour échapper à sa condition perçue comme « tautologique » ?
Alex Ungprateeb Flynn & Noara Quintana : L’art contemporain est actuellement confronté à de nombreuses questions. Certaines concernent la nature eurocentrique du système, de ses canons, de ses institutions et de ses marchés ; d’autres, multiples et complexes, portent sur la rencontre entre l’art contemporain et les discours sur le genre, la race et le postcolonialisme. L’anthropologie est confrontée aux mêmes questions, ce n‘est donc pas que l‘art contemporain ait besoin d’entrer en dialogue avec d‘autres cadres, mais plutôt qu’il se prête à de potentiels échanges dans une sphère de réflexion partagée. L’art a toujours eu le pouvoir, par la critique et la réflexion, d’énoncer des alternatives. Nous espérons qu‘à travers ce dialogue, il sera possible de commencer à réfléchir plus largement sur cette « tautologie ».
La pluralité est importante pour éviter la réification.
P.D.A : L‘altérité, l‘autodétermination et la construction d‘un sens commun semblent être des notions centrales dans votre travail.
A.U.F & N.Q : La reconnaissance de l’altérité, du droit à être autre, est fondamentale pour une critique décoloniale. Dès les premiers échanges sur le projet « Concrete Mirror », nous avons voulu suggérer une certaine inversion : au lieu d’envoyer des chercheurs français au Brésil qui seraient revenus présenter leurs résultats à l’EHESS* , nous avons voulu ouvrir un espace dans lequel des voix de la communauté brésilienne pourraient exprimer leur différence, et surtout, leur « intermédiarité », au sein des universités européennes. Car en réalité, il n’y a pas de réponse facile concernant l’avenir d’un récit du Sud global. La pluralité est importante pour éviter la réification.
P.D.A : Ces notions peuvent-elles s‘appliquer à l’actuelle construction de récits émancipés du Sud global?
A.U.F & N.Q : L’altérité, l’autodétermination et la reconnaissance des différentes formes de savoir sont fondamentales pour ce qui pourrait constituer les récits émergents et pluriels d’un Sud global déterritorialisé. Notre travail se situe dans des espaces interstitiels, dans un Sud global qui est à la fois partout, mais aussi très spécifiquement quelque part, à l’intersection de la dépossession et de la réappropriation. Ce qui relie ces espaces plus que tout, c‘est peut-être la façon dont la participation des hommes à leur propre histoire a été réduite au silence par les récits dominants. C’est le cas de l’histoire du Brésil, voire de l’histoire de l’art elle-même. Votre travail témoigne de votre engagement à matérialiser des contre-récits et à construire des « espaces d‘action ».
P.D.A : Comment conciliez-vous cette vocation avec la participation à une foire d‘art?
A.U.F & N.Q : AKAA n‘est pas seulement une entreprise commerciale. C‘est aussi un espace où convergent des individus de tous horizons, créant une dimension sociale à laquelle nous nous identifions dans les récits du Sud global et dans notre propre méthode processuelle. Nous pensons que les questions posées par les pays du Sud ne sont pas exclues du système artistique. La circulation des œuvres d’art, des discours, des performances, etc. les intègrent au débat, et leur inclusion dans les collections assure leur continuité et offre une nouvelle lecture des canons eurocentriques.
P.D.A : Comment croyez-vous ou espérez-vous que votre art sera reçu par le public d’AKAA?
A.U.F & N.Q : Nous espérons que « Concrete Mirror » créera des opportunités de dialogue et que l’œuvre invitera les gens à discuter des problèmes d’une manière propre à concrétiser le potentiel d’intersubjectivité de cette rencontre.
En savoir plus : Site web de YCOS-Project
* École des Hautes Études en Sciences Sociales
Un article de Paula De Almeida
Featured image : Noara Quintana & Alex Flynn, Concrete Mirror, #4 (bed), 2017. Sculpture. Courtesy of Noara Quintana, Alex Ungprateeb Flynn and YCOS Project
→ alexflynn.net
→ noaraquintana.com
Cet article a été rédigé pour The Art Momentum | AKAA Paris Artpaper. [English version inside]
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