Lorsque Danniel Toya redonne vie aux “matières mortes” sous formes de robots déconcertants, c’est pour libérer les tourments de Kinshasa et peupler “la Belle” de ses imaginaires les plus fascinants.
Danniel Toya est un jeune sculpteur robotique, un créateur insatiable qui trouve satisfaction dans le détournement des usages premiers d’objets, jouets électroniques cassés, pièces informatiques, tôles, plastiques et autres matières organiques. L’artiste se réapproprie ces matières jetées au rebut, qu’il assemble dans une logique de construction utilitaire et assurément esthétique. Chacune de ses œuvres-robots est une métaphores de la société, pour laquelle il œuvre en agitateur de pensées afin, selon ses dires, d’« innover et faire évoluer l’humanité. »
Danniel Toya est porté par ces fantasmes architecturaux et spatiaux à l’échelle de ses propres imaginaires.
Audacieux et critique, il illustre avec raillerie les travers de ses contemporains en essayant, par les fonctionnalités de ses robots, d’y apporter des solutions aussi absurdes que géniales. Basé à l’Échangeur de Limete – une tour qui s’ambitionnait “la plus haute flèche monumentale du monde” lors de sa construction sous Mobutu en 1970 – Danniel Toya est porté par ces fantasmes architecturaux et spatiaux à l’échelle de ses propres imaginaires. Face à l’avenir, il affiche une grande sérénité ; le monde sera, un jour, orchestré par électricité et propulsé en orbite comme la fusée qu’il projette d’y envoyer.
Danniel Toya, en observateur impassible de son époque, soulève par ses œuvres des problème récurrents de la vie quotidienne en RDC. C’est dans cette logique d’adresser une solution à ses observations qu’avec ses outils, l’artiste donne “corps” aux problèmes. La frénésie urbaine et les nécessités parfois rudes de la vie créent de nombreuses sollicitations et interactions dans les rues. Sans repos et sans cesse embrouillés par les problèmes du quotidien, les congolais sont, selon lui, victimes de perturbations extérieures qu’il formule comme de multiples “perturbations mentales”.
Il propose, avec le Robot professeur de défense contre la perturbation mentale, une œuvre manifeste d’un drôle retour vers la “sagesse”. Il met en scène un professeur qui, dans son cours de défense contre les perturbations mentales est lui même totalement perturbé. Le robot, dans un fracassant bruit de rouages, tente inépuisablement de terminer d’écrire l’intitulé de son cours avec une craie sur un tableau noir, sans y parvenir. La bonne volonté du professeur en devient comique et l’on en oublie rapidement le fond du problème en voyant le griffonnage illisible qui se forme sous nos yeux. On en oublierait presque nos bonnes manières.
C’est aussi là ce dont témoigne son Robot Kizengi (« Robot fou » en Lingala) qui, par ses difficultés à marcher et à tenir droit sur ses jambes, trébuche inlassablement dans une drôle et pathétique procession. « Le fou a souvent été soupçonné de dissimuler une connaissance de l’incompréhensible » disait l’auteur de science-fiction Gérard Klein. En effet, ce petit robot à tête de poupée surmontée de lunettes de soleil et de boucles d’oreilles, est très propre sur lui ; il affiche un look très assuré. Néanmoins, ses jambes fonctionnent par un mécanisme emprunté à un vieux jouet dysfonctionnel ; celui ci ne peut faire un pas sans tomber face contre terre, et sans possibilités de se relever.
“Les fous sont utiles à la société !”,
rappelle Danniel Toya, qui cherche au travers de cette œuvre, à offrir un regard ironique sur le besoin des esprits créatifs incompris de se soutenir pour se relever et continuer à avancer.
En RDC, le spectre de “l’article 15”, article de loi tacite qui déclare à ses habitants “Débrouillez vous pour vivre”, crée de nombreuses difficultés pour tirer son épingle du jeu social. Dans ce contexte de réseaux rusés et de manœuvres pêle-mêle, le Robot policier a la tête dure et la patte déjà bien huilée ; il est là pour faire figure d’autorité. Équipé de sa radio à hautes fréquences et de sa bouche articulée, le Robot policier peut – si les interruptions musicales et publicitaires le lui permettent -, donner des ordres à ses coéquipiers.
Dans la continuité de ses observations quotidiennes, Danniel Toya créé le Robot dactylographe informaticien, une œuvre au propos assez amère. Ce robot, constitué de plaques de métal, de pièces informatiques et de boîtes de conserve, coiffé d’une semelle de chaussure et d’une antenne radio, tape des deux mains sur une machine à écrire par un système d’articulation du haut vers le bas. Le rôle de ce robot est ambiguë car, penché et concentré sur sa machine à écrire il donne l’impression de remplir une tâche de la plus haute importance, mais lorsque l’on contourne son bureau, on observe qu’il ne s’agit pas de documents administratifs qui s’entassent sur le sol, mais bien de billets de banque de toutes les monnaies africaines.
Cette machinerie c’est celle de la Bourse, hors de toute humanité
Le roulement qui entraîne ses bras dans ce mouvement répétitif au rythme saccadé évoque l’emprise de la machinerie à grande échelle. Cette machinerie, c’est celle de la Bourse qui, hors de toute humanité, n’a aucun regard sur les transformations sociales qu’elle implique. En effet, la valeur d’échange du Dollar en Francs Congolais est en croissance exponentielle depuis plusieurs mois, et les effets sur les revenus les plus modestes se font dramatiquement ressentir en RDC. L’artiste questionne, est ce que le Robot dactylographe est l’instigateur ou le serviteur des automatismes infernaux qui produisent des artefacts du consumérisme au delà de toute raison ?
Danniel Toya observe sa génération, celle de ceux qui s’approprient les outils technologiques d’information et de communication pour leurs qualités usuelles de réseautage internet, mais aussi pour leur nature à révéler ce qui, en l’humain, a de plus obsessionnel. Le Robot projectionniste en est une image. Comme son nom l’indique il projette, mais sans jamais s’arrêter. Il ne projette rien, juste de la lumière sur un écran. C’est cette lumière qu’il fixe de ses grands yeux et qu’il tente de ne jamais faire faiblir, car celle-ci lui donne la force de continuer. Cette lumière l’ébloui, mais il est nécessaire pour lui de continuer à la projeter pour ne pas que réapparaisse ce « black mirror » qui, à l’instar du smartphone qui s’éteint lorsque le divertissement se termine, nous replace brutalement face à notre reflet de dépendance.
“On perçoit la voix d’une jeunesse qui prend conscience des défis qui restent à relever, au présent et dans le futur.”
Danniel Toya a bon espoir dans un avenir qui permettra de « vivre dans un environnement sain et sans difficultés », un endroit où tous les droits seront garantis, et où les libertés seraient respectées. Avec optimisme, il affirme : « Mon travail est une preuve d’espoir d’un lendemain meilleur. À travers les projections futuristes que prennent mes travaux, on perçoit la voix d’une jeunesse qui prend conscience des défis qui restent à relever, au présent et dans le futur. » Pour lui, l’espoir en l’avenir réside dans cette jeunesse et sa propension à inventer des stratagèmes, à innover. Ces initiatives s’observent tant par des mouvements citoyens qui imaginent de nouveaux formats culturels que par une appropriation singulière de la technologie, laquelle est, selon lui, l’alliée incontestable pour proposer des changements politiques plus à même de correspondre aux désirs de la jeunesse.
Un article de Marynet J.
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