Les Résidences Photographiques du musée du quai Branly-Jacques Chirac sont un programme de soutien à la photographie contemporaine, créé en 2008 par le musée. Parmi les trois lauréats 2020 on compte la photographe malienne Fatoumata Diabaté. Avec une photographie profondément humaniste et sociale, l’artiste s’intéresse notamment à la place des femmes dans la société.
Christine Barthe (responsable des collections photographiques du musée du quai Branly-Jacques Chirac), pourriez-vous, en quelques mots, nous présenter ce programme et les enjeux portés par cette nouvelle édition 2020 ?
Nous sélectionnons plusieurs dossiers, trois en général, par le biais d’un jury qui se renouvelle chaque année. Chaque lauréat bénéficie d’un financement de 15 000 euros. Ce programme a l’originalité de se doubler d’un budget de production : à l’issue de la résidence, un ensemble d’images est sélectionné par le musée pour être tiré et intégrer la collection du musée. Chaque photographe est ainsi invité durant une semaine à Paris, afin de superviser le processus de tirage. C’est souvent un moment d’échanges important avec les artistes, en général la première occasion de les rencontrer réellement.
Cette année 2020 a été marquée par les reports inévitables de ces étapes prévues pour les lauréats 2019 : Pablo Lopez Luz (Mexique), Prasiit Sthapit (Népal) et Abdoulaye Barry (Tchad).
En revanche nous avons pu tenir les étapes de sélection pour les lauréats 2020, et le jury a sélectionné les projets de Fatoumata Diabaté, Liza Ambrossio et Emilio de Azevedo. Chacun a un projet impliquant des déplacements et nous avons donc dû adapter le calendrier aux incertitudes du moment. Les projets ne devraient pas être complètement bouleversés mais nous devons rester assez flexibles. Nous espérons que Fatoumata Diabaté pourra se rendre au Mali prochainement, tandis que le programme d’Emilio de Azevedo évolue pour connaitre une phase de recherche au musée avant son départ pour le Brésil. Une partie du projet de Liza Ambrossio se déroule en Europe, et dans un deuxième temps au Mexique, peut-être au Japon si la situation s’améliore.
Fatoumata Diabaté, vous faites partie des trois lauréats 2020 des Résidences Photographiques. Comment envisagez-vous cette résidence ? Quels sont vos objectifs ?
Je souhaite réaliser ma résidence au Mali, à la source. L’objectif est d’aller à la rencontre de femmes dans certains villages où la pratique de l’excision est encore bien vivante. J’aimerais échanger et créer des dialogues avec les praticiennes et les victimes d’excision qui accepteraient de le faire ; évoquer avec elles leur propre histoire et bien sûr parler de leur ressenti.
Avant d’arriver au Mali, je souhaite commencer mes recherches auprès de celles et ceux qui ont déjà travaillé sur le sujet ou qui y travaillent actuellement. Je pense en particulier à des associations engagées qui font des campagnes de sensibilisation, à des réalisateurs de films, des artistes, des danseurs et chorégraphes etc… qui auraient abordé ce sujet sensible de l’excision dans leur travail.
Avec le projet photographique Nimissa – qui signifie regret en langue bambara – vous vous intéressez à la pratique de l’excision et à son inscription dans une tradition. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce projet ?
Aujourd’hui l’excision est une pratique totalement intégrée dans notre culture. Le clitoris, qui est la partie la plus intime et le symbole identitaire de la femme, est considéré comme une sorte de « démon » à éliminer. Il faut savoir que les modes d’ablation prennent des formes diverses au sein des différentes communautés, d’un village à l’autre… tantôt excisé, brûlé ou détérioré, il est l’objet de rituels encore bien tenaces.
Le projet Nimissa souhaite donner un droit d’expression aux femmes qui ont été mutilées. Moi-même victime de l’excision, Nimissa exprime aussi le regret de n’avoir jamais connu mon corps dans son intégralité et d’être privée d’une partie de ma sexualité.
La photographie permet de libérer des tabous une parole enfermée dans le poids de nos traditions.
Ce projet semble participer à la mise en place d’un contre-discours. Selon vous, comment la photographie peut-elle favoriser une démarche de reconstruction de soi et de réappropriation des corps face aux sévices de l’excision ?
En effet, la photographie permet de libérer des tabous une parole enfermée dans le poids de nos traditions. J’espère avec ce projet entamer un processus de réparation de ma propre image, de ce « moi » intime à jamais perdu, en libérant la blessure, la douleur, l’incompréhension, la colère…
Je compte aborder chaque sujet photographié en faisant apparaître passé, présent et futur.
Toutes les histoires vont se raconter avec un masque, des pagnes, un cadre et un miroir, autant d’objets signifiants qui portent avec eux une dimension à la fois symbolique et libératoire.
La photographie féminine malienne n’a pas fini de faire parler d’elle… c’est sûr !
Vous êtes également présidente de l’Association des Femmes Photographes du Mali, quel rôle joue cette association dans la reconnaissance des femmes artistes ? Comment définiriez-vous la scène photographique malienne actuelle ?
Le rôle de l’Association des femmes Photographes du Mali est de renforcer la détermination des femmes à s’inscrire activement dans la société, de les accompagner dans ce but et vers une recherche d’autonomie. Tous ses membres participent régulièrement à des évènements autour de la photographie, ateliers de créations, expositions au Mali et à l’étranger. Les Rencontres de Bamako (biennale africaine de la photographie) ont entre autres beaucoup apporté à la photographie malienne, et africaine en général.
La scène photographique malienne actuelle se développe bien grâce aux nouveaux talents qui émergent de jour en jour. Dans mon pays, beaucoup de jeunes femmes font de la photographie : elles sont aujourd’hui soutenues par des acteurs internationaux mais aussi nationaux. Oumou Traoré, membre de l’association, est d’ailleurs l’une de ces étoiles montantes ; mais aussi Amsatou Diallo, fondatrice de l’association et Kani Sissoko… pour ne citer qu’elles.
La photographie féminine malienne n’a pas fini de faire parler d’elle… c’est sûr !
Une interview de Mathilde Allard
→ Les Résidences Photographiques du musée du quai Branly – Jacques Chirac
Featured image : Fatoumata Diabaté, série Sutigi (à nous la nuit), 2003. Courtesy of the Artist.
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