Imaginary trip II, de Gosette Lubondo, nous plonge dans le réel. Ce sont les vestiges architecturaux de l’école ITP Gombe-Matadi, en souffrance, qui facilitent cette odyssée. Un processus où se confondent et alternent le présent et le passé, où la réalité et le factice sont en antagonisme tout en chantant à l’unisson. La réalité s’impose, au final. Les stigmates que mettent en exergue les murs de cette école en sont les indicateurs. La question de la gestion de l’héritage colonial et celle des conséquences directes de la « zaïrianisation » y sont nichées1.
Les murs de cette école sont ici immobiles, tout en étant des portes et fenêtres en mouvements permanents qui s’ouvrent gentiment et donnent vers diverses époques de l’histoire du Congo. L’époque coloniale et l’ère Mobutu jusqu’à celle dite actuelle projettent leurs images sur eux. Des murs bavards, balafrés et vétustes, témoins de la décadence et de la déchéance. Des murs tristes qui dénoncent un manque de soins. Ils réclament leurs premières heures de gloire de 1936, moment du joug colonial et période de leur sortie des terres du Kongo-Central, enivrées de sang et de sueur des colonisés. Insidieusement et paradoxalement, ces installations exigent les soins primaires de l’ère belge en ce temps de la décolonisation. Paradoxe !
Les uns ont laissé leurs empreintes sur ces murs en y écrivant leurs noms, en griffonnant. Ici, le vandalisme est vidé de son sens : tel un corps abandonné, ces briques empilées se laissent involontairement scarifier et saigner par les intempéries, jusqu’à la dernière goutte de sang, car hors de portée du regard du pouvoir public. Mais ils respirent encore ; ils n’ont pas rendu leur dernier souffle. Cette école fonctionne toujours, gisant dans son sang.
“Gosette Lubondo […] cristallise et enrichit la problématique axée sur la gestion de l’après indépendance des pays africains.”
Gosette Lubondo tente de réanimer cette victime via ses pouvoirs artistiques, qui prennent ici des dimensions cultuelles ou cérémonielles. L’ombre d’une nostalgie drape la série photographique, avec ses plis à observer sur le visage de l’artiste et sur celui de l’élève anonyme qui l’accompagne, vêtu d’un uniforme scolaire de l’époque. Nostalgie d’un temps perdu, d’une époque glorieuse évanouie. Nostalgie des parents ou de la génération d’avant 1975, qui ont connu la belle face de cette institution pédagogique. Ce sentiment y plane hypocritement, tout en laissant sa queue en exergue, via le buste du père belge trônant, imperturbable et fière, devant la façade du grand mur faisant office d’entrée principale de l’école.
En posant des actes et en se multipliant, l’artiste prouve combien elle est investie d’un pouvoir politique, social, économique, scientifique et mystique, qu’elle exerce métaphoriquement en vue d’impacter le réel. Pouvoir qu’elle partage avec celui qui semble être son assistant dans la cérémonie. Originaire de la région où se trouve l’école, ancienne partie du grand royaume Kongo connu pour ses multiples révoltes
contre le système colonial2 , Gosette Lubondo prend la posture d’une guérisseuse3.
Avec cette exorciste, en robe rouge et chaussettes hautes, le temps est délinéarisé. Elle utilise son pouvoir d’artiste en créant l’apesanteur quand elle joue à la corde avec elle-même. Elle se met à enseigner dans une salle vide telle une communicante avec des esprits : parle-t-elle avec les anciens qui ont fréquenté ce lieu durant les années fastes ? Peut-être qu’elle s’adresse à elle-même, en s’auto-intimant des ordres de nettoyer tout en étant surveillée par elle-même tenant un bâton pour s’assurer que le travail est bien fait.
La charge symbolique des actes de cette artiste, via cette série photographique, dépasse les murs de cette école ! Gosette Lubondo, à travers ces productions naturellement performatives, cristallise et enrichit la problématique axée sur la gestion de l’après indépendance des pays africains. Elle s’indexe à son œuvre en tant qu’échantillon de la génération actuelle, tout en invitant, en filigrane, à une exploration profonde des ferments de certains dysfonctionnements actuels, qui
remontent à l’époque coloniale.
Texte rédigé par Jean Kamba
Instagram : @gosettelubondo
Ce texte est extrait du catalogue “Memoria Yaoundé” publié à l’occasion de l’exposition Memoria : récits d’une autre Histoire présentée au Musée national du Cameroun du 10 février au 31 juillet 2023, dans le cadre de l’itinérance de l’exposition éponyme présentée en 2021 au Frac Nouvelle Aquitaine MÉCA, Bordeaux, puis en 2022 au Musée des cultures contemporaines Adama Toungara, Abidjan.
Le catalogue est téléchargeable gratuitement ici: Memoria Yaoundé
1 Lancé en 1975 par le président Mobutu, ce mouvement politique prônait le « recours à l’authenticité africaine », évoqué comme raison de
nationalisation des institutions de tous ordres et des changements de noms,avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer…
2 Voir l’histoire de Kimpa Vita, Nzingha reine d’Angola, Simon Kimbangu, etc.
3 Voir les « mama mbikudi » dans la culture Kongo.