
Prêt de l’artiste | Courtesy of the artist © 2023 – Serenah Pictures/Institut français du Cameroun
Miroir conteur
Kristine Tsala laisse son art porter sa voix et partager son vécu. Pour Memoria : récits d’une autre Histoire, la plasticienne prend la parole à travers une installation : Restitution1. Cette œuvre est constituée d’objets narrateurs d’un quotidien et habités de la personnalité d’un individu selon le lieu de l’exposition. Une œuvre modulable donc, un work-in-progress au plus près des réalités qui, bien entendu, ne sont pas les mêmes sous tous les cieux. « Un miroir de Chine ne voit pas ce qu’un miroir de Yaoundé voit », confirme l’artiste. Le miroir est l’élément central de l’installation, reflétant la réalité d’un habitant de Yaoundé, ville où se tient l’exposition ou plus globalement, le vécu d’un Camerounais contemporain.
Camerounais-miroir
Le Camerounais-miroir, à partir de Yaoundé, voit la situation du pays, minée par plusieurs crises sécuritaires, dont celle dite anglophone dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest du Cameroun. Ce citoyen a subi les effets, les restrictions et la psychose causés par la pandémie mondiale du Covid-19, illustrée dans l’installation par la présence de masques hygiéniques. À côté de ces derniers figurent des masques de clown–peut-être une représentation des différents personnages que l’individu doit incarner dans la société – et d’autres ethniques. Ceux-ci sont des objets sacrés de la tradition africaine, appartenant autant au visible qu’à l’invisible. Kristine Tsala cherche le sens caché des choses.
Les masques traditionnels sont mis en avant par l’artiste dans un contexte où la question de la réappropriation de l’héritage du peuple noir est au centre de plusieurs débats et initiatives sur les sols africain
et européen. Cette question est aussi symbolisée par l’un des livres faisant partie de l’installation, Nations nègres et culture, du savant sénégalais Cheikh Anta Diop. Autre situation dont est témoin le Camerounais-miroir : la condition économique de son pays, impacté par la crise planétaire. Selon son statut social, on peut voir le verre aux deux tiers plein ou à un tiers vide, comme le montre l’installation.
« Elle est devenue le miroir témoin de son temps et de sa société. »

Prêt de l’artiste | Courtesy of the artist © 2023 – Serenah Pictures/Institut français du Cameroun
Le Camerounais-miroir peut être le citoyen lambda ou Kristine Tsala elle-même. Elle partage son vécu, celui d’une artiste camerounaise résidant depuis quelque temps à Abidjan, en Côte d’Ivoire, mais toujours aussi au fait de l’actualité de son pays d’origine. Une artiste qui, depuis 2021, date de son exposition multimédia Le Cri au centre d’art contemporain doual’art à Douala, a décidé de s’exprimer sans fards sur les situations difficiles que traverse le Cameroun et sur les frustrations qu’elle-même a pu vivre au quotidien. Plasticienne métamorphe, l’artiste s’est muée en miroir pour son installation. Elle a donné une âme à un objet inanimé. Une démarche en rapport avec ses paroles : « J’aime faire les choses avec tout mon être. » Elle est devenue le miroir témoin de son temps et de sa société. Kristine Tsala, l’oeil-miroir alimenté par la nature, raconte aussi sa propre histoire, entre désincarnation et réincarnation.

Prêt de l’artiste | Courtesy of the artist © 2023 – Serenah Pictures/Institut français du Cameroun
Mais pourquoi le miroir ? En partant du titre de l’exposition, Kristine Tsala a retenu le mot mémoire et a construit son cheminement autour de cette
idée. En associant la mémoire à la pensée et à l’être vivant, elle l’a ensuite transférée à un objet : un miroir. L’artiste explique ce choix : « C’est un objet prépondérant dans nos vies. On en croise quasiment partout et je me suis dit, au-delà de refléter, si cet objet enregistrait aussi notre environnement ? S’il lui était donné de nous raconter sa propre histoire, que nous dirait il ? Sans oublier qu’un miroir est aussi un témoin de notre vécu, des moments les plus gais à ceux les plus tristes. »
Et la volonté de Kristine Tsala d’animer les objets ne pouvait pas avoir meilleur cadre que le Musée national de Yaoundé, espace de vie par excellence d’objets-conteurs de vécu.
L’installation, forme d’expression.
L’art de Kristine Tsala, inspiré au départ d’une flamboyance héritée de l’école artistique congolaise, s’est transformé au fil des années. En mars 2021, elle expliquait son évolution au quotidien Cameroon Tribune : « Le travail d’avant était plus linéaire, plus dans le dessin des contours. Aujourd’hui, il y a le souci de la composition… C’est la justesse, la sincérité, la vérité de ce nouveau moi artistique. »

Prêt de l’artiste | Courtesy of the artist © 2023 – Serenah Pictures/Institut français du Cameroun
Pour atteindre cet objectif, l’artiste a choisi l’installation comme forme d’expression pour cette exposition:« L’installation place l’idée avant l’objet. Je voulais susciter l’attention et le questionnement dans une société où la peinture est omniprésente. Et dix toiles ne peuvent pas conter l’histoire que cette installation porte. » Ce mode d’expression artistique lui permet de synthétiser son travail et sa pensée. « Il m’aurait été difficile d’imaginer une telle œuvre il y a quelques années, ajoute-t-elle. Il m’a fallu du temps pour m’engager dans cette voie. J’ai ressenti le besoin de m’exprimer sous cette forme d’art et je m’y sens bien. J’y prends goût et cela me donne une vision plus grande, plus élargie de l’art. C’est prometteur. »
Instagram : @kristinetsala
Texte rédigé par Rita Diba
Ce texte est extrait du catalogue “Memoria Yaoundé” publié à l’occasion de l’exposition Memoria : récits d’une autre Histoire présentée au Musée national du Cameroun du 10 février au 31 juillet 2023, dans le cadre de l’itinérance de l’exposition éponyme présentée en 2021 au Frac Nouvelle Aquitaine MÉCA, Bordeaux, puis en 2022 au Musée des cultures contemporaines Adama Toungara, Abidjan.
Le catalogue est téléchargeable gratuitement ici: Memoria Yaoundé
1 Ce texte s’inspire d’un entretien réalisé le 27 janvier 2023 à Douala, durant lequel l’artiste explique le cheminement qui l’a conduite à l’installation Restitution pour Memoria : récits d’une autre Histoire.