La galerie Arena de l’École Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles accueille dans le cadre du VR Festival 2018, en partenariat avec le Palais de Tokyo et Fisheye, l’exposition de Julien Creuzet du 2 Juillet au 26 août. L’artiste assemble des éléments hétéroclites pour créer des installations et sculptures aux allures complexes. Son Oeuvre active l’imagination de chacun, issue des influences qui nous traversent au quotidien.
À l’image d’un rhizome, l’artiste produit un lien singulier entre ces éléments disparates.
Une mélodie hypnotique, frénétique endiable les corps. L’exposition Maïs Chaud Marlboro résonne comme un léger et gai refrain, attirant l’esprit des visiteurs vers la galerie arlésienne. À première vue, l’atmosphère monacale du lieu contredit les notes chaleureuses, produisant un paradoxe entre l’espace et les œuvres exposées. Le long des cimaises blanches, plusieurs installations composites rythment l’exposition : un trolley en plastique transparent rempli de farine de maïs, des images d’archives précolombiennes sont ensablées et des tressages de cordes s’étendent jusqu’aux murs pour se lier à divers objets triviaux : pipe à crack ou épis de maïs. À l’image d’un rhizome, l’artiste produit un lien singulier entre ces éléments disparates. Souvent comparé à un conteur, il agence les objets comme des mots. Ses installations métaphoriques créent alors des coïncidences, sources de narrations. Il nous rappelle sensiblement les généalogies derrière chaque artefact du quotidien ; un quotidien de l’immédiateté dont sa fulgurance happe les temporalités et l’origine de chaque objet, vivant ou non. L’omniprésence des cordes, souvent entremêlées et nouées à plusieurs reprises, résonne comme un leitmotiv : il subsiste des nœuds qu’il est nécessaire d’interpréter et de comprendre.
La particularité de cette exposition réside dans l’utilisation inédite de la réalité virtuelle, comme un médium à part entière. Le travail de Julien Creuzet se distingue, selon ses mots, par la création d’un écosystème dans lequel foisonnent et interagissent les formes. Habitué à combiner plusieurs médiums (photographies, vidéos, chant, poésie, matières diverses …), il intègre la réalité virtuelle dans ce tout. Pour cette exposition, il a imaginé un dispositif physique et auditif. Il faut prendre place à bord d’un des trois engins métalliques aux allures de vaisseaux futuristes, disséminés dans la galerie. Sous la forme de sculptures cinétiques fixées au sol, ces vaisseaux disposent d’une assise en leur centre et de réacteurs à leurs extrémités. Ceux-ci sont réalisés à partir de sacs de farine de maïs recouverts par des housses sur lesquelles sont imprimées des images qui proviennent du quotidien des agriculteurs de maïs latinos et sud-américains.
Julien Creuzet offre la possibilité de faire une véritable expérience immersive sensorielle : le visiteur devient le pilote d’un vaisseau voyageant dans un monde parallèle. Le spectateur adopte une attitude active : il fait corps avec la machine et choisit par son propre chef le sens de rotation pour explorer cet univers bigarré. On pourra y rencontrer une femme à tête olmèque et un homme à tête de pipe à crack dansant aux rythmes de “Maïs Chaud Marlboro” – une mélodie entre chant et slam créée par l’artiste. Les dimensions mouvante et fluctuante de la réalité se trouvent être exacerbées et désormais, celle-ci ne peut visiblement être définie de manière absolue. L’artiste nous le rappelle en début d’exposition : « Ni l’identité de l’individu, ni l’identité collective ne sont figées ».
La réalité virtuelle permet d’expérimenter les limites de la perception. Julien Creuzet modèle le réel pour produire des fictions qui sont une représentation critique de notre monde. Il revisite nos héritages culturels généralement trop figés, linéaires, voire enclavés. L’observation des phénomènes quotidiens nourrit l’artiste à partir desquels il se forge un univers artistique pléthorique. Pour Maïs Chaud Marlboro, il nous restitue l’ensemble des sensations et activités remarquées à la sortie du métro parisien, à Barbès. Alors que les crack men passent et se ravitaillent dans ce lieu, les vendeurs de maïs — grillés sur chariot — et de cigarettes à la sauvette scandent à tue-tête: « Maïs chaud, Maïs chaud ! », « Marlboro, Marlboro ! ».
Usant de fantaisie plastique, il réalise des collages visuels à partir d’ensemble de signes et de symboles issus de plusieurs civilisations.
Afin de connaître l’origine de leurs présences, il faut remonter aux civilisations mésoaméricaines dépendantes d’une agriculture basée sur le maïs, à son importation en Europe au XVIe siècle rendue possible par la colonisation espagnole jusqu’à sa consommation contemporaine. L’artiste rend compte d’un phénomène socio-économique : la circulation du maïs qui s’inscrit dans un processus relationnel induit par la mondialisation et lié à la colonisation. Usant de fantaisie plastique, il réalise des collages visuels à partir d’ensemble de signes et de symboles issus de plusieurs civilisations. En effet, différents éléments lévitent sur un fond blanc, tel un temple maya, un faucon pèlerin et un sarcoramphe roi (oiseaux répandus en Amérique centrale et en Amérique du Sud) des pièces d’euros disséminées dans le ciel, un champ de maïs, etc. La création d’un espace virtuel aux allures lyrico-fantastiques génère chez le spectateur une perte des repères spatio-temporels. On ne peut s’identifier à la réalité. Notre existence s’apparente ainsi à des formes hybrides, voire rhizomiques. Illustrant des connections, des histoires et des conséquences imprévisibles, Maïs Chaud Marlboro résonne avec la pensée du Tout-Monde énoncée par Edouard Glissant. L’Histoire s’écrit indéfiniment entre l’ici et l’ailleurs, aux croisements des cultures.
Un article de Gwenaëlle Fenon
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