La singularité de la pratique de Nobel Koty, se traduit par un besoin permanent de quête d’identité. Si l’intériorisation occupe une place de choix dans sa démarche, le jeune peintre reste cependant très attentif au monde qui l’entoure ; car partir du personnel pour aboutir au collectif est la principale caractéristique de son travail. Cet entretien nous amène à la découverte de l’univers artistique de Nobel Koty dont l’œuvre est une invite à une introspection ancrée dans une démarche inclusive, tournée vers l’individu et la société.
Nobel Koty vous êtes un jeune peintre dont la carrière commence plutôt bien, si l’on se réfère à votre parcours ces deux dernières années. À quand remonte votre rencontre avec l’univers artistique ?
Je pense que c’est quelque chose qui a toujours été là au fond de moi. Je me rappelle que très tôt, j’avais une attirance très nette pour le dessin et tout ce qui était image. Je prenais vraiment du plaisir à dessiner. Mais avec le temps, j’ai dû abandonner parce qu’il fallait se concentrer sur les études pour satisfaire les exigences des parents. Le déclic avec l’art a eu lieu lorsque j’ai repris contact avec un ami qui était parti en Chine pour faire des études en design industriel. Il dessinait déjà très bien mais il est revenu avec beaucoup plus de subtilité et de technique dans ses créations.
C’est alors que j’ai commencé à me remettre en question car je ne m’étais jamais vraiment senti à ma place. Je suivais beaucoup plus les directives de mes parents. A un moment donné, je me suis même lancé dans le commerce international parce que je me sentais un peu à l’aise dans ce domaine. Mais revoir cet ami, a fait resurgir cette passion que j’avais enfoui en moi. Je me suis alors rapproché humblement de lui pour qu’il me réapprenne à dessiner. C’est ainsi que j’ai renoué avec le dessin en 2015 mais cette fois-ci de manière plus intense.
Quelles sont vos sources d’inspiration, vos influences ?
Il y a des contemporains dont les œuvres m’ont vraiment marquées. J’aime particulièrement les peintres allemands parce que je trouve une certaine ressemblance avec l’art africain ancien. Il y a un intérêt à la matière qui me séduit. J’aime particulièrement les travaux d’Anselm Kiefer, de Georg Baselitz, ou Markus Lüpertz. J’apprécie aussi les œuvres du photographe camerouno-nigérian Samuel Fosso. Cette manière qu’il a de se représenter, de se mettre dans la peau d’autres personnes et de s’effacer en tant que sujet est tout simplement fascinante. En ce qui concerne le Bénin, j’aime beaucoup le travail de Magou Amédé. C’est vrai que je n’ai pas eu encore la chance de voir son œuvre dans sa totalité mais pour le peu que j’ai vu, c’est très impressionnant. J’aime aussi la peinture de Dominique Zinkpè. Il y a un côté très spontané, très naturel, empli d’humilité et d’honnêteté qui s’en dégage.
Vous avez été influencé par des artistes de divers horizons mais aujourd’hui vous essayez de construire votre propre identité à travers vos créations. Comment définiriez-vous alors votre démarche artistique ?
Je dirai que ma démarche artistique se base essentiellement sur des questions identitaires. J’ai eu du mal à faire des choix et surtout à les assumer. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai choisi l’autoportrait afin de trouver des réponses à mes questionnements et ma place en tant qu’individu dans la société. Je pars du principe que, plus je serai honnête avec moi-même, plus je pourrai m’accepter et accepter les autres. Je trouve que pour mieux comprendre les autres, il faut engager un dialogue saint, honnête. Et cela passe par ce travail d’introspection que je m’attèle à déployer dans mes œuvres.
Avez-vous l’impression de vous être retrouvé grâce à ce travail d’introspection ?
(Sourire). Le processus est toujours en cours. Néanmoins, j’ai l’impression de beaucoup apprendre, de murir et de grandir. De nombreux clichés, stéréotypes et appréhensions se déconstruisent au fur et à mesure que je progresse dans mon travail.
Du dessin, vous êtes passé à la peinture qui est devenue votre médium de prédilection. Pourquoi ce choix et pourquoi l’autoportrait?
Tout simplement parce que j’adore la peinture. C’est le medium qui me permet d’être moi-même. J’avais certes commencé par le dessin mais à un moment donné, j’ai remarqué que le dessin était un peu trop rigide pour exprimer mon propos. Je n’arrivais pas à avoir cette liberté que je recherchais. La peinture est le médium avec lequel j’arrive à m’épanouir, à me surpasser et à progresser.
J’ai commencé par peindre l’abstrait mais je n’arrivais pas à réellement m’y exprimer. C’est alors que je me suis tourné vers le figuratif car les images et les formes me parlaient davantage. Dans mes expérimentations, j’ai découvert l’autoportrait qui a fortement retenu mon attention. J’aime les expressions faciales parce qu’elles traduisent beaucoup de choses.
Vous avez dit avoir démarré en 2015, mais on vous a découvert en juin 2021 avec Perspective, une exposition collective qui réunissait trois autres jeunes artistes béninois à l’espace artistique Le Centre. Pourquoi avoir attendu 7 ans pour montrer votre travail ?
Ah ! Je ne me sentais pas prêt tout simplement. Comme je l’ai dit, dans la pratique, j’ai pris du temps pour trouver ce qui me correspondait le mieux. Je voulais d’abord partir du personnel pour aboutir au collectif. C’était une manière de m’assumer, de faire mes propres choix et de me confronter à moi-même.
Que retenez-vous de cette première expérience hors du confort de votre atelier ?
Je n’avais jamais exposé mes peintures de manière formelle avant cette exposition. C’était pour moi une occasion d’échanger avec le public, d’avoir le retour des gens sur mon travail. Au début, j’étais très sceptique car la plupart des gens ne comprenaient pas ma démarche. Ils trouvaient que j’étais trop centré sur ma propre personne. Pourtant, mon travail n’a rien de narcissique. Je pars juste du personnel pour aboutir au collectif. J’étais donc confronté à cette peur.
Mais à ma grande surprise, au Centre, j’ai vu des personnes n’ayant aucune notion en art, s’intéresser spontanément à mon travail. L’expérience était enrichissante parce que c’était la première fois que je discutais avec un public aussi varié. Cette expérience m’a ouvert les yeux et permis de comprendre l’importance de sortir de temps en temps de son atelier pour aller au contact du public. J’ai eu des discussions enrichissantes qui m’ont poussées à amorcer de nouvelles réflexions.
Parlant toujours de l’exposition collectif Perspective à Le Centre, vous présentiez les séries Torsions et Feuillage. Pouvez-vous nous en dire plus sur le propos de ces séries ?
La série Torsions est le fruit de plusieurs questionnements sur mon identité et ma place en tant qu’individu dans la société. Dans notre société, il y a des ‘’normes’’ et dès que l’individu ne s’en tient pas aux règles préétablies, on le trouve étrange voire défaillant. Les personnes différentes sont marginalisées. Il est donc difficile pour l’individu de s’affirmer dans une telle société sans essuyer des moments de tourments et de remises en cause. J’estime que, pour se trouver, il faut forcément faire ce travail d’introspection. Ce processus qui s’impose se caractérise par des moments de réflexion, de prise de distance par rapport à certaines choses. Et j’avoue que cela peut s’avérer troublant car l’on se pose sans cesse des questions : Est-ce que ce sont les bonnes décisions ? Pourquoi écouter les gens, au lieu de soi-même ? Est-ce que ce sont les bonnes questions ? etc. C’est ce processus que j’ai tenté d’exprimer à travers la série Torsions. Elle présente quatre toiles, un personnage dans diverses postures exprimant plusieurs émotions : peur, trouble… Il y a des moments d’angoisse, de frustrations, de colère qui, pour moi, sont nécessaires. On ne peut trouver les réponses aux questions existentielles sans franchir ces étapes-là, à mon avis.
Vous dites partir du personnel pour aboutir au collectif dans vos créations. Doit-on comprendre que vous-même avez eu du mal à être accepté dans votre environnement immédiat en tant qu’artiste ?
Oui. J’ai eu du mal à m’affranchir de certains stéréotypes. Je suis issu d’une famille d’intellectuels, de cadres d’État. Mes parents ont occupé de hauts postes dans l’administration publique. Il est vrai qu’avec ma mère j’ai eu plus de chance mais avec mon père en revanche c’était beaucoup plus compliqué. Il remettait en cause mon choix car pour lui, un individu professionnellement accompli c’est un médecin, un avocat, un ingénieur, etc. Dès lors que tu ne t’inscris pas dans cette démarche, c’est que tu es passé à côté de ta vocation, de ton avenir et il le disait très clairement. Du coup c’était compliqué pour moi de m’exprimer quant au choix de ma carrière car je ne voulais pas frustrer mes parents. C’est cela qui m’a d’ailleurs valu de longs moments de questionnements et de remises en cause. A un moment donné j’ai même voulu jouer sur les deux tableaux : travailler dans une administration et être artiste. Mais je me suis très vite aperçu qu’il n’y a pas de doubles jeux dans l’art. Soit on s’y consacre entièrement soit on reste à l’écart. Jusqu’aujourd’hui, ce n’est pas facile d’être accepté en tant qu’artiste.
Dans la série Feuillage, vous mettez en tension la nature et l’humain. Qu’en-est-il réellement ?
Absolument ! Je tenais à mettre en lumière le lien étroit qu’il y a entre les humains et la nature en faisant référence à la notion de cycle, de renouvellement perpétuel. Malgré la beauté de la nature, il arrive un moment où les fleurs se fanent. Elles disparaissent et laissent place à d’autres fleurs qui naissent puis se fanent à leur tour. Pour moi, ce processus est identique au parcours d’un être humain. On naît, on vit puis on meurt. Les êtres humains cherchent un but à leur existence et se battent pour. Et lorsqu’ils le trouvent, ils rayonnent, se sentent libres et accomplis jusqu’à ce que la mort ne survienne. Après la mort, c’est comme si l’on n’avait jamais existé. Je me peins dans la nature sur ces toiles mais le personnage principal ici est l’humain. Comme un substitut, je me dévoile peu à peu puis à un moment donné, je disparais progressivement derrière les feuillages. Ce vide marque la fin du processus, montre que tout a un début et une fin. Le passage sur terre en tant qu’être humain est vraiment éphémère.
Dans vos créations, vous explorez votre corps de diverses manières. Quel est le lien que vous essayez d’établir entre le corps humain et les thématiques que vous abordez souvent.
Il y a une forme de vanité dans le corps humain, une sorte de fragilité. Lorsque l’on traverse des périodes difficiles et tumultueuses, cela se ressent tout de suite sur notre corps. C’est le premier vecteur de tous les évènements et informations inhérents à notre vie. Quand j’ai commencé l’autoportrait, j’étais beaucoup plus attiré par le visage : les expressions faciales, les émotions. Mais peu à peu, étant mon propre sujet, j’ai commencé à m’intéresser aux changements sur mon corps selon les moments que je traversais. Lorsque je passais par des périodes vraiment compliquées, cela se manifestait toujours sur mon corps. Parfois, je dépérissais complètement ou je vieillissais carrément. Il m’arrivait de ne pas me reconnaître parce que je peignais des autoportraits ou je paraissais complètement vieux. De la même manière, dans les moments de quiétude et de bonheur, j’observais des changements sur mon physique, un peu comme si je me regénérais. C’est alors que j’ai décidé d’explorer le corps humain car il est selon moi, l’expression de nos traumatismes, bonheurs et sentiments refoulés.
Généralement, dans vos compositions de couleurs, vous n’excédez jamais trois pigments et avez peu recours aux couleurs vives dans vos œuvres. Qu’est-ce qui justifie ce choix ?
Je pense que c’est dû à ma personnalité et aux propos de mes œuvres. Je suis quelqu’un de discret et je ne me sentais pas trop à l’aise avec les couleurs vives dès mes premières expérimentations. Lorsqu’il m’arrive d’avoir recours aux couleurs vives selon la thématique d’une œuvre, je le fais toujours de façon sobre. Avec la série Feuillage par exemple, j’ai utilisé des couleurs un peu chatoyantes mais discrètes. Naturellement dans les mélanges, la composition des couleurs, il y a ce besoin de prioriser le propos. Je veux vraiment capter l’âme des gens, toucher leur cœur dans une atmosphère de quiétude, de calme et je n’ai pas besoin de beaucoup de couleurs pour atteindre cet objectif.
Moins d’un an après l’exposition à Le Centre, vous y avez été de nouveau invité pour une résidence de création avec le photographe togolais Tessilim Adjayi. Le Centre et vous c’est une histoire d’amour apparemment !
(Rire)… C’est vrai mais avant cela, j’ai participé à l’exposition collective Mascarade à la Maison Rouge. Ce fut une belle expérience parce que j’étais aux côtés de plusieurs aînés. J’ai beaucoup appris. Je suis sorti de cette expérience avec l’envie de m’améliorer car je me suis rendu compte qu’il y a encore beaucoup à faire. La qualité de ce qu’ils ont proposé me motive davantage à rechercher plus de profondeur dans ma pratique. Le thème Mascarade m’intéressait parce que je pense que nous portons tous des masques. On jour toujours un jeu de rôle parce qu’on a peur du regard des autres. On a peur de se livrer tel que l’on est réellement donc on a recours au masque.
En ce qui concerne la résidence de création à Le Centre, c’était la première fois que je travaillais hors de mon atelier. J’ai toujours peint dans le confort de ma maison. Au début, j’étais très stressé mais c’était une expérience magnifique parce que Le Centre nous offrait l’occasion de nous exprimer dans une liberté totale et dans les meilleures conditions possibles. Ça a été intéressant de travailler avec un collègue qui explore un autre médium. Ensemble, nous avons essayé de retranscrire nos pensées, nos expériences à travers un thème. Il m’a fait découvrir son univers artistique et m’a permis ainsi de m’ouvrir et d’aboutir à la thématique : Exils.
Quelles sont les œuvres issues de cette résidence de création et quels étaient leurs propos ?
Deux séries sont nées de cette expérience. Il y a eu la série Prolongement que j’avais déjà amorcée et que la résidence m’a permis de développer davantage puis la série Sans titre entièrement créée dans le cadre de l’exposition collective Exils. Avec Tessilim Adjayi, on tenait à montrer qu’il existe plusieurs formes d’exil. Lorsque l’on parle d’exil, on pense généralement au fait de quitter son pays sous la contrainte politique ou économique. Mais il y a aussi l’exil conscient ou inconscient. A travers Prolongement, j’ai représenté un personnage dans une situation de repos. J’aborde dans les toiles de cette série, l’exil inconscient en mettant en lumière ces moments de notre quotidien où tout nous échappe.
Nous ne contrôlons rien quand nous dormons. Ce processus où l’on est entre la vie et la mort me fascine. Nous ne sommes même pas conscients du réveil. Pour moi, c’est un exil parce que pendant le sommeil, nous ne sommes absolument pas conscients de ce qui nous arrive, nous ne maîtrisons même pas notre corps. En tant qu’être humain, nous aimons bien maîtriser les choses, prendre notre vie en main, avoir l’impression que les choses se passent comme nous le voulons. Quant à la série Sans titre, j’ai choisi de mettre en exergue ce moment d’exil conscient où nous nous retranchons dans un cadre pour chercher des réponses à nos questionnements : l’introspection.
Dans le cadre de l’exposition Exils, vous êtes passé à un format beaucoup plus grand. De même, on observe quelques changements quant à la technique. Que s’est-il passé ?
Oui, c’est vrai. Il y a une forme de maturation. Avec Exils déjà, je voulais me dépasser. J’avais l’habitude de travailler sur des formats beaucoup plus petits et cela me convenait parfaitement. Mais cette fois-ci, j’ai senti le besoin d’aller sur un grand format, d’aller un peu vers l’inconnu. Partir en résidence était pour moi une manière de m’exiler. Être dans un espace étranger m’a donné l’envie d’explorer de nouvelles choses. C’était pour moi un défi. Inconsciemment, à force de chercher, la matière s’est épaissie. D’où le changement que vous avez observé dans la technique. Contrairement à la sculpture qui est en trois dimensions, la peinture est sur un support plat, en deux dimensions. De ce fait, il n’y a pas cette prétention à vouloir se rapprocher de la réalité. Mais il y a tout de même cette curiosité à travailler le modèle et à rechercher une certaine profondeur qui m’ont poussé à densifier la matière pour la rendre plus pâteuse. Je suis beaucoup plus libre avec la pâte de la peinture car elle me parait naturelle, spontanée. Lorsque je peins, il y a juste ce besoin de vouloir faire qui induit des gestes répétitifs, saccadés. Et c’est vrai qu’il y a une certaine évolution en termes de texture avec les séries d’Exils.
Outre les expositions à Le Centre et à la Maison Rouge, vous avez également pris part à l’exposition historique « Art du Bénin, d’hier et d’aujourd’hui : de la restitution à la révélation », consacrant le retour sur leur terre natale des 26 trésors royaux restitués par la France. Dites-nous, quels étaient vos sentiments pour avoir été sélectionné parmi les 34 artistes béninois ayant exposé dans la partie contemporaine de cette exposition diptyque ?
Honnêtement je ne m’y attendais pas du tout. Comme vous le savez, j’ai commencé il y a peu de temps et, me retrouver aux côtés de grands artistes confirmés tant au Bénin qu’à l’échelle internationale était clairement une agréable surprise. C’est très gratifiant.
Vous avez présenté en décembre 2022, une toute nouvelle série dans le cadre d’un solo show à la Borna Soglo Gallery[1].
Oui effectivement. J’ai présenté une nouvelle série intitulé In a state of nature. C’est une série de 5 grands formats et de quatre petits formats qui s’intéresse aux regards des autres. Ici, j’interroge la place que nous accordons à autrui dans notre existence. Nous avons tendance à dire que le plus important c’est de se retrouver soi-même et non à travers le regard des autres. Néanmoins, dans tout ce que l’on fait, on aimerait que les gens partagent notre vision. Nous cherchons l’approbation des autres. On ne se suffit pas au final. Lorsqu’on dit qu’on ne cherche pas l’approbation des autres c’est que quelque part, il y a une petite hypocrisie. Les autres perçoivent des choses sur nous que nous ne voyons pas. Il y a des traits de caractère qui nous échappent. A travers le regard des autres on peut voir une partie de nous-mêmes. C’est un peu comme un miroir. Donc, quelque part, c’est aussi important de savoir ce que les autres pensent de nous. Il y a une citation de Jean Paul Sartre sur laquelle j’ai beaucoup réfléchi : « Les autres sont au fond, ce qu’il y a de plus important en nous-mêmes, pour notre propre connaissance de nous-mêmes ». Il dit également : « Autrui fait peser sur nous la pression d’être, parce que quelque part on ne pas s’en passer ».
Quelle est la place de la documentation dans votre travail ?
La documentation, c’est la colonne vertébrale de mon travail. Quand un travail n’est pas documenté, cela se sent automatiquement dans le rendu. Pour moi, le plus important dans une œuvre c’est le propos que l’on déploie. Tant que l’on ne maitrise pas ce qu’on a envie de dire on a du mal à le dire. Après Exils, sept mois se sont écoulés avant que je ne reprenne le pinceau. Ces mois m’ont permis de fouiller, de me documenter. Ces recherches m’ont permis d’exprimer aisément mes pensées les plus profondes. A un moment donné il fallait faire place à la pratique pour donner corps à ces réflexions que j’avais menées. Une fois que j’ai eu la ‘’colonne vertébrale’’ c’était beaucoup plus facile d’aller dans la direction que je voulais. Le propos est très important dans ma démarche artistique. C’est important que l’on puisse sentir ma vision lorsqu’on voit mon travail.
Sur l’une des toiles de la série Le regard des autres, vous vous êtes peint en position fœtale. Pourquoi ?
Je me suis mis en position fœtale pour montrer le revers du regard des autres. Parfois, ou même la plupart du temps, le regard d’autrui peut nous faire sentir insignifiant en ce sens que l’on commence à vivre à travers ce que les autres pensent de nous. Ce revers qui fait que l’on attend tout le temps l’approbation des autres avant de faire un choix décisif, au point de taire sa propre conscience. Alors que la seule chose qui nous sépare des animaux c’est la conscience, cette capacité à réfléchir par nous-mêmes et à prendre des décisions, à faire ce qu’on juge important pour nous-mêmes. Mais du moment où l’on est dans l’attente permanente de l’approbation des autres, c’est quelque part eux qui décident pour nous. Lorsque l’on est privé de sa conscience on est semblable à un fœtus, dans un état où l’on n’a pas encore développé une conscience, où la conscience est absente. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai titré cette toile Absence.
Il y a une omniprésence de fond blanc sur les toiles de cette série. Est-ce pour une raison particulière ?
Oui tout à fait. J’ai voulu faire une proposition vraiment minimaliste axé sur le propos. Comme d’habitude, je veux que les gens se focalisent sur le propos. Le fond blanc c’est comme faire le vide autour de soi. Le blanc permet à l’esprit d’écarter tout ce qui est futile et de se concentrer sur l’essentiel. Il faut un dialogue et celui-ci ne sera possible qu’à travers le regard des autres sur mon travail. Le blanc c’est pour aussi effacer toutes barrières entre le visiteur et moi.
Je voulais aussi beaucoup de simplicité sans occulter la profondeur et le blanc me permet plastiquement d’aller dans les détails. Par exemple, sur une des toiles où je me peins pratiquement nu, il m’a été compliqué de faire ressentir la gêne sur mon visage.
Justement. Parlons de la plastique. Qu’est-ce qui a évolué depuis Exils ?
Avant c’était un défi de passer au grand format mais ici c’était une nécessité. Je fais 1,85 mètre donc ne pouvant pas prendre un châssis de ma taille, je suis passé sur du 1,80 mètre pour me rapprocher de la réalité sans pour autant être super précis dans les moindres détails de mon corps. J’avais besoins de la hauteur pour exprimer ce que je voulais. Plastiquement, j’ai essayé d’affiner un peu plus mes traits contrairement à Exils où c’était plus pâteux avec la matière. Je cherchais un résultat singulier sans pour autant être obligé d’utiliser la même densité de matière.
Des perspectives pour 2023 ?
Je travaille depuis quelques mois sur un projet intitulé Incertitudes que je vais probablement étendre sur toute l’année. A travers ce nouveau projet, je porte mon attention sur les incertitudes de la vie en générale. Je m’intéresse à comment des événements ou imprévus prennent des tournures tragiques au point d’impacter nos psychologies, nos pensées. Le but recherché est de mettre en avant la résilience dont nous devons faire preuve afin de surmonter les traumatismes.
En parallèle, je compte aussi travailler sur La chaise de l’atelier, un projet qui me tient à cœur depuis un bon moment. Mais à ce sujet, je préfère garder le silence jusqu’à ce que le projet ne prenne réellement corps.
Une interview réalisée et rédigée par Inès Fèliho.
[1] Solo Show présenté par la Borna Soglo Gallery le 9 décembre 2022.