Les peintures de Sadikou Oukpedjo sont peuplées d’humains et d’animaux qui souvent se confondent et fusionnent pour faire naître des formes de vie nouvelles.
Dans Transmis , une figure masculine trapue fait corps avec une vache à deux pattes. Bien que la tête du bovin ne soit pas clairement identifiable, quelques traits de pinceau suffisent à faire comprendre que l’animal a avalé la tête de l’homme. Mais par une ambiguïté délibérée, Oukpedjo suggère également un être fantastique, sans tête, à deux corps.
« J’ai compris que ce bœuf était mort en emportant une partie de moi-même »
La figure animalière au cœur de l’œuvre de l’artiste togolais trouve son origine dans un traumatisme. Un jour, lors de la fête traditionnelle de Tabasqui* pendant laquelle des animaux sont sacrifiés, le jeune Sadikou a été bouleversé par les mugissements déchirants d’un bœuf qui sentait sa mort imminente. Ainsi naquit une double prise de conscience. Premièrement, que les animaux, comme les humains, sont sensibles et, deuxièmement, que les humains, par ignorance ou par violence, infligent des souffrances inutiles. L’œuvre Transmis représente la victoire de l’animal sur le lasso rouge désormais inutile, mais elle incarne aussi l’expérience de l’artiste. « J’ai compris que ce bœuf était mort en emportant une partie de moi-même », explique Oukpedjo, ajoutant que, depuis, son travail explore la relation homme-animal dans l’histoire, la nature et la psychologie humaine. La puissance émotionnelle de Transmis réside en effet dans sa capacité à transmettre une vision depuis les profondeurs cachées de la psyché humaine.

Remarquable dessinateur, Sadikou Oukpedjo s’inscrit dans une longue lignée d’artistes qui ont compris que les images sont le meilleur support de transmission des explorations métaphysiques, parce que ce sont les symboles, plus que les mots, qui constituent le langage du subconscient. Ses peintures dévoilent les mystères de l’évolution, de la transmutation et du monde des esprits et figurent la vision intérieure que nous occultons, selon lui, au détriment du monde et de notre espèce. S’il est tentant d’attribuer l’univers de l’artiste à ses origines africaines, sa dimension mythique lui confère un attrait universel. Le traumatisme a amené Oukpedjo au contact direct de ce que Carl Jung appelle « l’inconscient collectif » et, comme Jung, il explore le monde des archétypes. La figure animale rapproche aussi les deux alchimistes modernes. Non seulement tous deux reconnaissent la sensibilité animale, mais ils sont également convaincus de l’importance de la symbolique animale pour vivre notre propre Odyssée sans craindre le monde étrange que nous abritons. Les peintures d’Oukpedjo confortent l’assertion du père suisse de la psychologie analytique :
« On ne peut se connaître soi-même que si l’on entre en soi-même, et on ne peut le faire que si l’on accepte la part de l’animal en nous »
* Tabaski est le nom ouest-africain de l’Aïd al-Adha, la fête du sacrifice, qui commémore le sacrifice d’Ibrahim (Abraham) prêt à tuer son fils sur le commandement de Dieu.
Un article de Valerie Behiery
Featured image : Sadikou Oukpedjo, Transmis, 2018. Media mixte sur toile, 160 x 200 cm. Courtesy Galerie Cécile Fakhoury and the artist.
→ cecilefakhoury.com > Sadikou Oukpedjo
Cet article a été rédigé pour The Art Momentum | Cape Town Art Fair Artpaper. [English version inside]
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