Artiste interdisciplinaire né au Caire, Khaled Hafez partage sa pratique entre vidéo, installation, performance et peinture. Quel qu’en soit le support, son travail explore la culture, l‘histoire, la politique et le soi avec intelligence et perspicacité.
Partant de l‘identité égyptienne propre à la période moderne quelque peu turbulente de son pays, l’art de Khaled Hafez met en lumière la pluralité des influences qui forment l‘histoire de l‘Égypte, riche de ses composantes africaines, moyen-orientales, méditerranéennes, arabo-islamiques, judéochrétiennes et égyptiennes antiques. En soulignant cette pluralité, l’artiste montre que le cadre des identités culturelles ne saurait être statique ni monolithique, et critique la pensée binaire et les conflits qui en découlent. Le travail de Khaled Hafez brouille délibérément les frontières entre les contraires supposés – notamment le passé et le présent, l’Orient et l’Occident, le sacré et le profane, la culture savante et la culture de masse, les mythes et la réalité. À travers un système complexe de signes, l’artiste dénonce les utilisations idéologiques, réductionnistes et abusives de l’histoire, du pouvoir politique et de la religion. Cette dimension de résistance est particulièrement présente dans ses peintures « légendaires » (au sens propre comme au figuré).
Les icônes sont manipulées pour traduire la métamorphose
Puisant leur inspiration dans les symboles, les compositions et les proportions de l’art pharaonique, les grands tableaux colorés de Khaled Hafez mêlent l’abstraction picturale moderniste et la figuration, l’artiste introduisant généralement des signes égyptiens anciens à côté d’images médiatiques de mannequins, de culturistes, de soldats et d’autres tropes modernes. Cela conduit souvent à d’étranges parallèles, telle la similitude dérangeante entre le dieu ancien Anubis et le Batman des temps modernes. La notion de recyclage de l’histoire, inhérente à l’œuvre de Khaled Hafez, souligne la nature interculturelle de l’expérience humaine et de la culture visuelle dans le temps et dans l’espace. Tout en évoquant un inconscient collectif à la Jung, l’univers composite de Khaled Hafez est polysémique et donc ouvert à l’interprétation. Si les images issues de l’univers publicitaire contemporain sont transculturelles, l’artiste laisse au spectateur le soin de déterminer si ces personnages modernes sont destinés à évoquer un langage visuel universel, un simulacre de la culture postmoderne ou le déplacement du culte vers les icônes populaires. Pour Khaled Hafez, « les icônes sont manipulées pour traduire la métamorphose » et, de fait, leur hybridité et leur mouvement suggèrent bien la mutation.

Les toiles de Khaled Hafez racontent des histoires qui paraissent au premier abord relever d’une mythologie surréaliste personnelle. Two Gods and Angels offre ainsi au regard un étrange paysage dans lequel des enfants, des mannequins et un soldat ailés traversent le ciel tels des anges. Pourtant, les peintures de l’artiste, à l’instar des mythes et légendes, renferment des codes sophistiqués, dont la signification profonde ne se dévoile qu’à condition d’avoir accès aux connaissances nécessaires pour déchiffrer leur symbolisme. La lionne, au centre de la toile et de la composition, représente Sekhmet, féroce déesse de la guerre dans la mythologie égyptienne. La silhouette zoomorphe peinte au-dessus d’elle est le dieu Anubis, figuré sous l’apparence d’un chien, protecteur des morts, que Khaled Hafez décrit comme « le gardien du monde souterrain, aidant le défunt à passer les douze heures de la nuit qui le séparent du soleil et de la vie éternels ».
Dans cette perspective, la partie céleste du tableau représente l’au-delà, une interprétation confortée par la présence des figures ailées et du lotus bleu dans le coin supérieur droit, symbolisant une conscience élargie ou modifiée. En outre, le dessin symétrique formé par le dos d’Anubis évoque les balances utilisées par Maât – la déesse égyptienne de la vérité et de la justice – pour peser le cœur des morts. Cependant, si la scène est transposée dans la société égyptienne moderne, l‘histoire peut donner lieu à une toute autre interprétation. Si le conflit en constitue toujours le fondement, les « deux dieux » du titre pourraient ne pas être Anubis et Sekhmet, mais plutôt la double apparition de cet esprit blanc dont les deux avatars encadrent un soldat armé, évoquant l‘État ou d‘autres groupes jouant le rôle de Maât et répondant par la violence aux visions ou aux interprétations religieuses ou politiques différentes. Les univers picturaux multiples et riches de Khaled Hafez prônent la paix, la tolérance et l’éveil des consciences en nous rappelant que regarder est à la fois un art et une science.
Un article de Valérie Behiery
Featured image : Khaled Hafez, Sekhmets of Paradise, 2018. Technique mixte sur toile, 140 × 200 cm. Courtesy Khaled Hafez and Galerie Le Sud.
Cet article a été rédigé pour The Art Momentum | AKAA Paris Artpaper. [English version inside]
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