Grâce Dorothée Tong : Ntu : Retrouver l’humain .

Les artistes réinventent le monde, essaient de le transformer, redonnent vie aux émotions partagées, facilitent la circulation et la compréhension des images, des mots, des harmonies et de tout ce qui
donne à la vie sociale et économique son contrechamp d’humanité. Dans ce monde en constante mutation (technique, politique, écologique et culturelle), où les angoisses de l’homme se déplacent de plus en plus de l’ordre existentiel à une question profondément ontologique et biologique, il est question de la survie non pas de la civilisation, mais de l’humanité. Que nous proposent les artistes ? Par leurs imaginaires, comment nous alertent-ils et nous éclairent-ils sur le monde à venir ? Quelles pistes ouvrent-ils pour le penser différemment ?

Pour sa première exposition solo Ubuntu en 2022, l’artiste Grâce Dorothée Tong propose Ntu qui poursuit son travail sur ce qui marque l’unicité, l’importance des liens interpersonnels et leurs enjeux dans la construction de l’identité collective. Une recherche engagée par l’artiste depuis son adolescence marquée par des conflits identitaires
intérieurs. Dans ce nouvel opus, humanisme, archive, multiplicité, différence, devenir et patrimoine se mélangent à l’art pour dépasser le cadre d’étude des transformations structurales, des représentations et du domaine des interactions sociales quotidiennes au cœur de la vie de groupe.

“Au delà des particularités,nous devons nous référer à la nature humaine originelle,fondement de notre identité commune”

Memoria : récits d’une autre Histoire est une nouvelle occasion pour l’artiste d’affirmer sa conviction que le rassemblement, le partage, la convivialité, le dialogue interculturel et l’Ubuntu 1 entrent implicitement en résonance avec Ntu. L’œuvre illustre l’unité dans la diversité perçue par Souleymane Bachir Diagne comme étant « une politique de l’humanité comme totalité 2 »

Tel un carnet de voyage, les œuvres de Grâce Dorothée Tong témoignent de son rapport à son humanité et à celle de l’autre. Ses récits et sa quête d’identité expriment les tribulations d’un être en recherche de l’humain. En tant qu’expérience individuelle et subjective, mais également ancrée dans une dimension plus collective, la représentation de soi peut être envisagée selon une multitude de points de vue et d’expériences complexes et interconnectées.

Ntu est une « nouvelle politique » des relations humaines qui renforce des souvenirs d’enfance et suscite le questionnement : comment construire un idéal d’humanité ensemble, où chaque individu se relie à l’autre, où chaque passé, présent et futur se mélangent pour former un tout global harmonieux et solidaire ? Toute culture détient des valeurs susceptibles d’éclairer l’humanité et d’apporter sa thérapie aux maux du monde. L’impasse dans laquelle nous sommes aujourd’hui est peut-être due au fait que nous les bafouons sans cesse. Pour inventer de nouvelles structures sociales durables, quoi de mieux que les anciennes recettes ? Ntu, dont le lieu de résidence se trouve à Baham bird3 , est inspirée de la culture Grassland, dans la région de l’Ouest Cameroun. La marmite transmet des valeurs de respect, de dialogue et d’entraide fondamentales pour la cohésion et le développement social mis en péril aujourd’hui
par le capitalisme et la mondialisation.

Le culte contemporain de la singularité ne doit pas être un frein au dialogue. Cela veut dire ne pas réduire l’autre aux différences qui pourraient l’opposer ou l’éloigner de nous. Au-delà des particularités, nous devons nous référer à la nature humaine originelle, fondement de notre identité commune. Cette notion d’universalité est indispensable à la construction d’un échange entre les peuples au sein desquels « les personnes de la personne sont multiples dans la personne 4 ».

Instagram : @tong_g_d

Un texte rédigé par Vivian Maghela .

 

Ce texte est extrait du catalogue “Memoria Yaoundé” publié à l’occasion de l’exposition Memoria : récits d’une autre Histoire présentée au Musée national du Cameroun du 10 février au 31 juillet 2023, dans le cadre de l’itinérance de l’exposition éponyme présentée en 2021 au Frac Nouvelle Aquitaine MÉCA, Bordeaux, puis en 2022 au Musée des cultures contemporaines Adama Toungara, Abidjan.

Le catalogue est téléchargeable gratuitement ici: Memoria Yaoundé

 

1 Terme Bantu signifiant « humanité ».

2 Souleymane Bachir Diagne, Faire humanité ensemble, Université de Nantes, 2019.

3 Baham Bird est une résidence d’artiste et un musée au Cameroun.

4 Traduit du proverbe bambara « Maa ka Maaya ka ca a yere kono » et thème de la 13e édition des Rencontres de Bamako, biennale africaine
de la photographie (2022-2023).