Comme moi, Josèfa Ntjam est une enfant de la diaspora. Comme moi, c’est une métisse culturelle « franco-africaine » qui, au gré de ses rencontres, n’a certainement pas échappé aux questions de savoir d’où elle venait (vraiment).
Pourtant, existe-t-il un seul intérêt de nature à inciter cette Française d’origine camerounaise, née en 1992 à Metz, à dissimuler ses origines ? Comme vous, comment pourrait-elle s’empêcher d’exprimer son identité et même ses identités à travers ce qu’elle pense, sent ou ressent ? Dans ses œuvres, ce multiculturalisme oriente nettement sa démarche artistique et lui permet de porter un regard critique sur les récits culturels eurocentrés et les expressions de l’entre-soi. Josèfa Ntjam intervient là où l’Histoire et la mémoire font défaut, explorant des imaginaires alternatifs et fantastiques.
Dans l’oeuvre de l’artiste, la mémoire collective se construit sous la forme d’un avatar intitulé Persona. Faisant figure de Mémorial 7.1, cet avatar du futur, tapi dans l’obscurité des profondeurs aquatiques,
tente de retracer la source de ses origines. Tel Ulysse qui cherche à retrouver le chemin de sa terre natale, il scanne inexorablement les archives numériques de divers peuples du Cameroun et fait résonner les questions existentielles que chacun se pose : « D’où je viens ? », « Qui suis-je ? ». Ces angoissantes questions, lancées par Josèfa Ntjam, traversent toute son oeuvre. Son avatar tente d’y répondre : « I am Persona in the loneliness of collectivity […]. J’ai continué à chercher les milliers de données qui semblent me traverser, impossible recommencement de l’origine, je suis plusieurs à nouveau, je le dis, je suis plusieurs, animal à trois têtes, plante tentaculaire, bactérie en germination, je suis plusieurs, la mélas, cette matière noire a vu naître la multitude de nos horizons. »
“Josèfa Ntjam intervient là où l’histoire et la mémoire font défaut, explorant des imaginaires alternatifs et fantastiques”
Dans un style plastique unique, persuasif, à la croisée de l’esthétique afro-futuriste et du récit poétique, Josèfa Ntjam nous initie, grâce au potentiel émancipateur des technologies et de la science, à une anticipation science-fictionnelle du devenir de la mémoire collective. Son oeuvre révèle le bug de la matrice et nous permet d’entrevoir de nouvelles perspectives pour échapper à cet embourbement. L’artiste forme une nouvelle narration qui se veut post-identitaire. Elle bâtit une nouvelle mémoire – et une nouvelle cosmogonie – à laquelle nous pouvons nous affilier collectivement. Sa mélas est le glitch des réseaux ! Elle permet de brouiller les pistes, elle s’infiltre dans nos certitudes et souligne l’impossibilité d’accéder à nos origines.
Autrement dit, l’artiste met au jour, dans sa poésie, ce « moi » qui sans cesse cherche à se définir. Sa personne répond au principe de diversité et de multiplicité. Elle tait son origine, elle vient du tout, du néant, des abysses, des ancêtres – des Méta –, des plantes… Elle a une origine galactique.
Josèfa Ntjam ébranle jusque dans ses racines le caractère péremptoire et sommaire de l’affirmation identitaire qui renvoie à notre volonté d’être rassurés sur l’ancienneté de celle-ci. Elle s’oppose à cet enfermement de la société dans la mémoire nostalgique d’un passé immuable qui ne prendrait plus en compte de possibles évolutions. Ses récits transfigurent le réel et l’ouvrent sur la perspective d’un monde dans lequel nous pouvons nous re-concevoir. Ils nous offrent, dans cet éreintant questionnement, l’opportunité
d’apaiser notre quête et d’échapper à la mélancolie de la recherche.
« Ses récits transfigurentle réel et l’ouvrent sur la perspective d’un monde dans lequel nous pouvons nous re-concevoir. »
Et si Persona et la mélas étaient les meilleurs antidotes aux obsessions identitaires et mortifères de notre génération ? Quoi qu’il en soit, son œuvre fait résonner le murmure de ces quelques vers de Birago Diop:
Écoute plus souvent
Les Choses que les êtres,
La Voix du Feu s’entend
Entends la Voix de l’Eau
Écoute dans le Vent
Le Buisson en sanglots :
C’est le Souffle des Ancêtres.
Ceux qui sont morts ne sont jamais partis
Ils sont dans l’Ombre qui s’éclaire
Et dans l’ombre qui s’épaissit,
Les Morts ne sont pas sous la Terre
Ils sont dans l’Arbre qui frémit,
Ils sont dans le Bois qui gémit,
Ils sont dans l’Eau qui coule,
Ils sont dans l’Eau qui dort,
Ils sont dans la Case, ils sont dans la Foule
Les Morts ne sont pas morts 1.
Instagram : @josefantjam
texte rédigé par Joana Danimbe
Ce texte est extrait du catalogue “Memoria Yaoundé” publié à l’occasion de l’exposition Memoria : récits d’une autre Histoire présentée au Musée national du Cameroun du 10 février au 31 juillet 2023, dans le cadre de l’itinérance de l’exposition éponyme présentée en 2021 au Frac Nouvelle Aquitaine MÉCA, Bordeaux, puis en 2022 au Musée des cultures contemporaines Adama Toungara, Abidjan.
Le catalogue est téléchargeable gratuitement ici: Memoria Yaoundé
1 Vers du poème Le Souffle des ancêtres de Bigaro Diop, extrait du recueil Leurres et Lueurs, Paris, Présence africaine, 1960.