Est-ce la fin d’un conte ou le début d’une histoire ? C’est la question que je me pose en fignolant les derniers détails de mon installation au sein de cet ancien palais présidentiel, devenu Musée national du Cameroun, le pays de ma mère, mon pays. La filiation, d’ailleurs, est au cœur de cet ouvrage : ces deux enfants, fille et garçon, doubles statufiés des miens, s’élèvent réunis et me dépassent en hauteur. Eux ne me regardent pas, ils sont plongés dans la lecture d’un message qui par eux seuls est déchiffrable. Et moi… je les regarde s’envoler, de toute ma petitesse.
Ces enfants sont les dernières sculptures d’une série, celle des Orants. Elle raconte pièce après pièce le par- cours de ces deux êtres qui, à partir de situations de violence, de maltraitance et d’enfermement qui leur étaient imposées, décident de trouver leur chemin propre, le chemin du Soi. Ils passent ainsi, chacun de leur côté, les étapes de la rébellion (ponctuée des questions d’origine et de genre) et de l’acceptation de leur mission (prises de position sur le devoir à l’autre et la défense de l’environnement). Leur par- cours épique, métaphore d’une quête spirituelle, se devait donc de s’achever, ensemble, avec la dernière étape qu’est l’élévation. Et celle-ci prend l’aspect d’une nouvelle naissance, sortant non pas du ventre d’une mère, mais de la matrice qu’ils se sont créée eux-mêmes. Ils renaissent par leur propre choix et leur propre volonté, accompagnés des outils qu’ils ont découverts et choisis sur leur route.
La terre, rouge, se transforme en briques. Ce procédé nous renvoie à nos villages, mais également au passé lointain, aux méthodes de constructions nubiennes, dont nombre de nos peuples sont héritiers, et projette un futur en commun, la brique de terre devenant une solution architecturale défendue à travers le monde pour lutter contre le béton, saboteur de planète. La terre africaine, matière primordiale et berceau du vivant, retrouve sa noblesse volée. Et devient piédestal. Car à leur tour, les briques se transforment en puits.
Un puits-tunnel, pour être exact, le tunnel étant métaphore du passage nécessaire à toute mutation – ne sont-ce pas de nos plus sombres nuits que nais- sent nos plus beaux soleils ? Le charbon, de son noir vif qui renvoie à l’inconnu de la vie, a multiples facettes : les braises sont éteintes, le passage par le feu destiné à nous éprouver pour nous purifier est passé ; il symbolise également l’eau – le charbon actif restant à ce jour la technique naturelle la plus pertinente pour purifier cet élément – gardienne de notre mémoire, de laquelle nous naissons et grâce à laquelle nous vivons.
De ce tunnel, ils sont donc arrivés au bout, ces enfants. Ils ont atteint la lumière que d’aucuns cherchent encore. Qui d’autre que des enfants aurait pu y parvenir ? Eux qui portent la vérité, simple et pure, à la bouche. Cette vérité qui, si elle était trahie ou bafouée, sortirait d’un autre puits, cette fois nue et en rage, un miroir à la main.
Non, seuls les enfants ont encore le pouvoir de livrer la vérité dans la paix et de recevoir les paroles du ciel, sans filtre.
Ce sont d’ailleurs des paroles qui leur sont délivrées inscrites sur des parchemins de coton tissés à la main, provenant de l’extrême nord du Cameroun. Ces paroles se dessinent à travers des écritures mystérieuses : proviennent-elles de temps oubliés, d’esprits joueurs, d’autres galaxies ? Nul ne le sait et nul ne peut le savoir, à part eux. Et moi, peut-être, mais la réponse, je l’ai déjà oubliée. Ce sont, quoi qu’il en soit, des paroles tombant du ciel. Prenons- nous mesure, nous, adultes, de ce qu’implique de recevoir une parole nouvelle ? Lorsqu’on nous parle d’abandon, que devons-nous abandonner ? Au final, peu importe. Ici, il est juste d’admettre que les enfants, encore légers, n’ont besoin d’aucun effort pour ressentir les messages des dimensions qui nous dépassent.
Ainsi se déroulent devant eux ces écritures et l’esprit, enfermé dans le besoin de savoir lire, devra laisser place pour comprendre à ce qui, en lui, sait ressentir : la traduction des pictogrammes est peut-être dans les plantes médicinales qui les inscrivent ? Sans doute ce language n’est-il pas si incompréhensible, si tant est qu’on réussisse à se déconstruire ? Car chaque herbe ou épice curative utilisée pour encrer ces mots est choisie précisé- ment parce qu’elle accompagne, relève et enlumine le terme. Comme les plantes savent le faire pour l’être humain, tant qu’il ne décide pas de les soumettre ou de les réduire.
Soumettre et réduire est ce qu’on réserve aux enfants, eux qui sont pourtant nos guides. La boucle est bouclée. Bouclée en tout cas pour la série des Orants, dont les modèles porteront probablement un autre nom à l’avenir. Cette installation représente la fin d’un cycle, celui de la reconnexion à son enfant in- térieur. Pour moi, c’est ici, sur les terres de l’ouest du Cameroun, accompagnée du Jujube et du Ndo’ong1, mais peut-être que pour d’autres corps, avec d’autres attributs, l’enfant pourra renaître en Inde, au Mexique ou ailleurs…
Tant que la terre est rouge.
Instagram : @beyagillegacha
Ce texte est extrait du catalogue “Memoria Yaoundé” publié à l’occasion de l’exposition Memoria : récits d’une autre Histoire présentée au Musée national du Cameroun du 10 février au 31 juillet 2023, dans le cadre de l’itinérance de l’exposition éponyme présentée en 2021 au Frac Nouvelle Aquitaine MÉCA, Bordeaux, puis en 2022 au Musée des cultures contemporaines Adama Toungara, Abidjan.
Le catalogue est téléchargeable gratuitement ici: Memoria Yaoundé
1 Jujube et Ndo’ong sont des plantes médicinales également utilisées dans des pratiques mystiques pour protéger, soigner ou accompagner les enfants.